Le budget annoncé par le gouvernement Libéral au Québec le 17 mars 2011 contient plusieurs éléments inquiétants pour les travailleurs et les étudiants québécois. Comme d’autres gouvernements un peu partout dans le monde, le gouvernement Charest est en train de mettre en oeuvre des mesures d’austérité financière pour alléger le poids de la dette publique. Choisissant méticuleusement leurs batailles, les libéraux ont décidé de s’en prendre d’abord aux étudiants québécois. Le plan proposé par le gouvernement, qui doit entrer en vigueur à l’automne 2012, consiste à augmenter les frais de scolarité de 325$ par an pendant cinq ans (pour un total de 1625$). Cette nouvelle augmentation s’ajoute à une première hausse de 500$ sur cinq and débutée en 2007.

Tout le monde sait que le système d’éducation québécois souffre de problèmes majeurs. Au fil des ans, les coupures en éducation effectuées par le Parti Libéral et le Parti Québécois ont entraîné une augmentation significative de la taille des classes. L’équipement et l’infrastructure des universités, des CÉGEPS et des écoles primaires et secondaires se dégrade davantage à chaque année. Utilisant cela comme excuse, les trois principaux partis politiques ainsi que des acteurs influents comme les think-tanks spécialisés en économie, les médias et une panoplie d’«experts» en tous genre ont formé un front commun contre les étudiants, demandant de façon unanime une hausse des frais de scolarité dans la province.

Cette situation est identique à celle qu’on trouve dans les autres provinces du Canada. Principalement à cause de la diminution des subventions, les universités ont vu la part publique de leur financement passer de 80% en 1988 à moins de 50% en 2008. Cette diminution des subventions de l’état a été compensée par la hausse des frais de scolatrité. Conséquemment, la tranche du budget des universités couverte par les frais de scolarité est passée de 14% en 1988 à près de 35% en 2008. En Colombie Britannique, les revenus tirés des frais de scolarité ont même dépassé les revenus tirés par le gouvernement des taxes des entreprises.

Au Québec, le gouvernement provincial a voulu s’attaquer à l’éducation comme les autres provinces l’ont fait. Mais jusqu’à maintenant, ils n’y sont pas arrivés parce que la force et la détermination du mouvement étudiant a mis en échec la plupart des tentatives de faire payer les étudiants plus cher.

Par contre, le manque de financement dont souffrent la plupart des universités les place dans une situation proche de la faillite. Par exemple, l’UQAM a accumulé une dette de 565 millions alors que l’université de Concordia en est à 400 millions. Et qu’est-ce que les décideurs recommandent pour remédier à cette situation? Augmenter les frais de scolarité, et diminuer le salaire des employés des universités! Si on regarde le reste du Canada, le conséquences de cette politique de hausse des frais sont assez graves. En 1979, à peine 30% des étudiants universitaires travaillaient pendant l’année scolaire. En 2000, le nombre des étudiants travaillant pendant leurs études était déjà passé à 45%. Ceci a évidemment un impact négatif sur la capacité à performer à l’école des étudiants qui ne viennent pas de familles aisées. Mais il y a une autre face à ce problème : des études démontrent sans aucun doute que la hausse des frais de scolarité entraîne nécéssairement une diminution de l’accès à l’éducation pour ceux qui proviennent de milieux moins favorisés. Plusieurs étudiants qui auraient dû travailler pour financer leurs études de toute façon vont abandonner, tandis que ceux qui ont une situation financière un peu plus favorables seront forcés de prendre un travail à temps partiel pour arriver à s’en sortir.

Ces augmentations décrétées par le gouvernement ont été appuyées par une lutte idéologique. Les capitalistes ont besoin de cette propagande afin de convaincre la population qu’ils doivent s’attendre à recevoir moins. Le ministre des finances, Raymond Bachand, a fait des déclarations comme quoi le Québec avait besoin d’une «révolution culturelle»; les québécois auraient besoin d’apprendre que tout a un prix, et qu’ils faudrait s’attendre à avoir de moins en moins de services gratuits dans l’avenir. En somme, cette offensive idéologique se résume à un rejet des assises fondamentales de la Révolution Tranquille des années 60 et 70. C’était particulièrement évident lorsque, dans son discours à l’Assemblée Nationale, Bachand a dit que «Dans les années 60, les frais de scolarité représentaient 26% des revenus totaux des universités québécoises. En 2008-2009, c’est la moîtié de ça.». Ce que cela signifie, c’est que la classe capitaliste désire aujourd’hui mettre fin aux concessions qu’elle a cédé à la classe ouvrière suite aux luttes de la Révolution Tranquille.

Toutes les grandes associations étudiantes (FEUQ, FECQ, ASSÉ) ont annoncé des campagnes visant à mobiliser des milliers d’étudiants contre la hausse de 1625$. La FEUQ/FECQ, qui représente la majorité des étudiants québécois, a déclaré que la grève générale était un dernier recours et n’était pas au programme, tandis que l’ASSÉ, traditionnellement plus radicale, a annoncé des manifestations massives menant à une grève générale étudiante à la session d’hiver. Il s’agit d’un bon signe que le leadership du mouvement étudiant est en train de s’organiser sérieusement pour mobiliser la population étudiante et défendre l’accès à l’éducation au Québec.

Des leçons utiles du passé

Jusque dans les années 1980, le mouvement étudiant québécois avait résisté avec succès aux attaques contre le système d’éducation public grâce à l’ANEQ. Cependant, avec la création de la FEUQ/FECQ (en bonne partie due à l’initiative de l’aile jeunesse du PQ) a divisé le mouvement. Après avoir eu un mouvement étudiant uni pour lui faire face pendant des années, le gouvernement du Québec s’est alors trouvé dans une position de force face à un mouvement divisé. La FEUQ/FECQ a empiré la situation en rejetant souvent la tactique de la grève. Ceci explique pourquoi le gouvernement est parvenu à faire adopter la hausse de 500$ en 2007, malgré la grève menée par l’ASSÉ.

Malgré que l’ASSÉ ait tenu fermement sa position dans la mobilisation pour la grève de 2007, ses actions ont également contribué à son isolement, exacerbant les divisions existant déjà au sein du mouvement. Bien que sa frustration soit compréhensible, le leadership de l’ASSÉ a adopté une attitude carrément hostile à l’égard des autres associations étudiantes. L’ASSÉ a même fait voter une résolution qui stipulait clairement que la «destruction» des autres associations était un but à atteindre. Il y a eu des «guerres» entre les associations, où celles-ci envoyaient des raids sur les campus des autres, cherchant à affilier les associations étudiantes locales à une fédération différente. De plus, il y avait un refus réciproque de tenir des manifestations communes. Comment pouvons nous espérer battre le gouvernement Charest si nous sommes nous-mêmes divisés? Les partis capitalistes sont unis dans leur attaque contre l’accès universel à l’éducation. Nous devons donc nous unir pour riposter. Récemment, la FEUQ/FECQ a lancé un appel à la création d’un front commun contre la hausse des frais de scolarité. Il s’agit d’un développement positif, et nous devons travailler à la création d’un tel front commun.

Grâce à l’histoire du mouvement étudiant le leadership de l’ASSÉ a bien compris que le gouvernement ne s’arrêtera pas s’il ne fait face qu’à des petites manifestations, quelques lettres, ou une campagne de sensibilisation. Même si ces actions sont toutes importantes, elles ne sont pas une fin en soi; elles doivent plutôt être la base de la mobilisation active des étudiants pour des actions de grève massives. Dans la période de dépression économique que nous traversons, ceci est particulièrement vrai parce que les capitalistes n’ont pas la marge de manoeuvre qu’ils auraient en temps normal. Par contre, il est important de ne pas idéaliser la grève. La grève n’est pas la finalité, elle est le moyen d’action par lequel on pourra battre le gouvernement. Afin de mobiliser et d’organiser les étudiants qui sont normalement apolitiques, il est nécéssaire d’entrer en contact avec eux et de les amener à la conclusion que la grève générale étudiante unie à l’échelle de la province est nécéssaire pour faire reculer le gouvernement. Comme l’a dit récemment le porte parole de l’ASSÉ, Gabriel Nadeau-Dubois, «Ça nous brise le coeur d’avoir à faire la grève. On préfèrerait étudier». Il est important que la masse des étudiants comprenne que la grève est une action que nous sommes forcés d’effectuer pour se protéger des attaques du gouvernement et que ce n’est pas à prendre à la légère.

Pour l’unité des travailleurs et des étudiants contre les attaques

À ce stade, une grève étudiante à elle seule risquerait de ne pas être suffisante pour faire reculer le gouvernement. Les étudiants, à la différence des travailleurs, ne détiennent aucun pouvoir économique. La grève étudiante, lorsqu’elle est suffisament répandue, peut devenir un outil utile dans la bataille idéologique contre le gouvernement en démontrant clairement que la masse de la population est opposée aux réformes. Cependant, le mouvement étudiant a besoin du levier économique détenu par le mouvement ouvrier. Les travailleurs en grève peuvent coûter des millions de dollards par jour au gouvernement et aux grandes entreprises, permettant de forcer le gouvernement à reculer. C’est pourquoi il est nécessaire de penser plus loin que la grève étudiante : il faut un grand mouvement contre l’austérité financière. La CSN et la FTQ ont récemment annoncé leur soutien à cause des étudiants. Mais la solidarité ne doit pas s’arrêter là; il faut que les syndicats mobilisent des travailleurs pour participer aux manifestations étudiantes et faire des grèves de solidarité. L’unité est la seule voie possible!

Tous les sondages montrent que la majorité de la population est opposée aux mesures d’austérité du gouvernement. Jean Charest est le premier ministre le plus impopulaire de l’histoire de la province. Malgré cela, il va de l’avant avec l’augmentation des frais de scolarité et davantage d’austérité. Comment un gouvernement peut-il agir en opposition directe avec les intérêts et la volonté de la majorité de sa population? La réponse est simple – il s’agit d’un gouvernement au service de la classe capitaliste québécoise. Ils n’ont rien en commun avec la population et dédaignent les travailleurs et les jeunes qui, selon eux, ne comprennent pas l’économie. Il s’agit évidemment de «l’économie» où leurs amis recoivent des bails-outs de milliards de dollards tandis que le reste de la population doit payer les comptes.

Les conséquences de ces attaques sont bien plus vastes qu’elles ne l’apparaissent à première vue. Comme Nadeau-Dubois l’a dit récemment, «Ce qui se cache derrière cette hausse des frais de scolarité est une tentative de privatiser le système d’éducation au Québec». C’est sûrement la vérité, mais ce n’est pas tout. Ce ne sont que les premières escarmouches dans une grande offensive contre le système de l’état providence. Après avoir ciblé les étudiants, le gouvernement s’attaquera à d’autres secteurs où il faut «couper le gras». Demain, ce sera le système des garderies à 7$, puis le système de santé, ou encore la hausse des frais d’hydro-électricité…

Fondamentalement, il s’agit d’une lutte entre deux visions de la société. D’un côté, les patrons et leurs sbires tentent de remettre l’éducation à la volonté du marché et à le traité comme n’importe quelle autre marchandise. Ils veulent revenir dans le temps, à l’époque où l’éducation était le privilège de la bourgeoisie. De l’autre côté, les travailleurs ont besoin de défendre les droits qu’ils ont acquis suite à de dures luttes sociales, et à les maintenir pour permettre à leurs enfants d’avoir une bonne éducation. Puisque l’éducation bénéficie à l’ensemble de la société, il est simplement logique qu’elle soit financée et contrôlée par la société.

Étudiants, travailleurs, mobilisons-nous ensembles contre cette attaque. L’union fait la force!