Avec la dilution de la constitution fédérale du NPD, le parti a fait un pas vers la droite lors de son congrès à Montréal. Cette étape reflète une évolution similaire au sein des partis ouvriers sociaux-démocrates au niveau international, et c’est une ironie tragique compte tenu de la crise actuelle du capitalisme. Cependant, aussi décevant qu’il est, le retrait d’un préambule constitutionnel que personne n’avait jamais lu ne change pas fondamentalement le caractère du NPD. En raison de la crise, les mouvements de masse sont inévitables; ceux-ci à leur tour se refléteront dans les organisations de masse.

 

Le congrès des Jeunes néo-démocrates du Canada

Le congrès central du NPD a été précédé par le congrès des Jeunes néo-démocrates du Canada (JNDC) le jeudi. La jeunesse socialiste de Toronto et de Montréal étaient bien représentée lors de cet événement, avec environ 25 personnes présentes au congrès. Malheureusement, la conduite du congrès des jeunes reflétait celle de la partie adulte, avec un accent sur l’électoralisme étroit et la fermeture des opportunités de débat. Le président du congrès, en particulier, a fixé un ton très hostile; tous ceux qui viennent de mouvements militants authentiques, comme Occupy ou la grève étudiante au Québec, aurait été incroyablement aliénés par l’interprétation rigide du « Robert’s rules of Order (équivalent anglophone du Code Morin) ». Si un jeune délégué ne connaissait pas l’exacte procédure adéquate, il était immédiatement arrêté plutôt que de voir ses demandes facilitées. Pour les nouvelles personnes assistant à leur premier congrès du NPD, c’était incroyablement rébarbatif.

Farshad Azadian, un partisan de La Riposte et candidat pour le poste de représentant des politiques sur l’exécutif des JNDC, a lancé une proposition visant à modifier l’ordre du jour afin d’inclure un débat et un vote consultatif sur le préambule de la constitution du NPD. Cette proposition a obtenu le soutien considérable de personnes des deux côtés du débat. La réunion a commencé avec 30 minutes de retard, puis le vote sur l’ordre du jour n’a pas eu lieu avant 11h00, après deux longues présentations. Les organisateurs étaient parfaitement au courant de cette proposition à l’avance, mais ont essentiellement conspiré pour mettre fin au débat sur la question la plus intéressante de la semaine. Si les organisateurs l’avaient voulu, ils auraient pu facilement adapter l’ordre du jour. Lorsque l’amendement a été proposé pour modifier l’ordre du jour, ils ont affirmé que nous étions déjà en retard et un feu roulant d’arguments fût présenté sur la raison pour laquelle il était impossible d’y changer quoi que ce soit. Il était clair que ce n’était qu’un stratagème cynique pour faire tout son possible pour ne pas permettre un débat qui aurait pu conduire à un résultat embarrassant pour la bureaucratie du parti. Sans le libre échange des idées, la jeunesse authentique ne sera pas attirée par cette organisation et ne se sentira pas libre de présenter ses idées. On soupçonne que certaines éléments de ce parti sont très à l’aise avec une aile jeunesse dysfonctionnelle.

Le débat sur la politique aux JNDC a été limité à 60 minutes, et avec les querelles de procédures, seulement deux points ont été effectivement votés – deux résolutions pour un événement qui n’arrive qu’une fois tous les deux ans ! Le reste du temps a été consacré à des heures et des heures de longues présentations expliquant les différentes techniques de l’électoralisme d’une manière totalement apolitique. L’une de ces présentations a été faite par des représentants du Parti démocrate d’Obama aux États-Unis, ce qui était beaucoup trop pour les délégués socialistes. Atefa Akbary, une déléguée de Montréal d’origine afghane, a demandé pourquoi nous avions invité des représentants d’un parti et d’un gouvernement qui envoient des drones pour tuer des gens dans son pays natal. Les présentateurs ont répondu que nous pourrions utiliser leurs outils pour construire n’importe quel mouvement politique – en ignorant complètement le lien entre les idées et l’action politique.

Environ 80 personnes étaient présentes au congrès au cours de la journée, mais 70 autres sont arrivées à la fin de la journée juste pour voter lors des élections. Un candidat à la coprésidence soutenu par la gauche a obtenu une nette majorité des délégués du matin et a prononcé un bien meilleur discours. Malheureusement, avec les retardataires, un candidat soutenu par la droite a gagné le vote, et cela s’est reflété dans la plupart des élections avec toute mention des convictions politiques brillant par leur absence. Cela reflète les élections de 2011 où les loyalistes de la bureaucratie du parti ont remporté la plupart des sièges. Cependant, les « loyalistes » ne semblent jamais accepter la responsabilité que les JNDC aient été complètement dysfonctionnels sans existence réelle. Personne ne pouvait même trouver le procès-verbal du congrès de 2011 !

Les banquiers et les bombardiers d’Obama au NPD

L’ancien économiste en chef de la Banque mondiale et conseiller de Bill Clinton, Joseph Stiglitz, a donné le coup d’envoi du congrès du NPD. Stiglitz est reconnu comme étant un des premiers promoteurs de la « troisième voie » de Tony Blair. Avoir un banquier pour initier le congrès du seul parti basé sur les syndicats en Amérique du Nord est révélateur de ce que recherche la direction du NPD.

Cependant, cette trajectoire vers la droite n’est pas forcément acceptée par tous les délégués. Dans les couloirs, beaucoup de gens se sont engagés dans de longues discussions avec des militants socialistes. Plus de 300 exemplaires des journaux marxistes, Fightback en anglais et La Riposte en français, ont été vendus. Des centaines de personnes ont soutenu la campagne pour s’opposer à l’édulcoration du préambule du parti. En outre, les idées du socialisme étaient bien représentées dans les médias sociaux et la presse dominante.

Au cours du congrès, la bureaucratie du parti a été de plus en plus préoccupée par la perte de contrôle du « message »; des journalistes ont souligné le débat sur le socialisme et ont ridiculisé la tentative de faire apparaître le chef du parti Thomas Mulcair comme étant plus humain. Cette situation s’est aggravée lorsque le samedi du congrès, le Caucus Socialiste, un groupe de gauche au sein du NPD, a déployé une bannière s’opposant aux drones de guerre d’Obama. Le moment a été choisi le même jour que Jeremy Bird, directeur de campagne de M. Obama, devait prendre la parole. Les médias étaient partout et la bureaucratie se précipita pour les arrêter. Plus tard, les apparatchiks du parti n’ont fait qu’empirer la situation lorsque des délégués ont commencé à huer le représentant d’Obama; les délégués socialistes ont été retirés de la salle et le chef du Caucus Socialiste, Barry Weisleder, s’est fait retirer ses pièces d’identités d’une manière antidémocratique. Après s’être rendu compte qu’ils avaient largement outrepassé leurs limites, Weisleder s’est fait retourner ses pièces d’identité. Le NPD ne devrait rien avoir à faire avec le Parti démocrate américain, le parti de la guerre et de l’austérité contre les travailleurs aux États-Unis.

Le débat sur le socialisme

La dernière journée du congrès a culminé dans le débat sur la suppression des références au socialisme et d’un engagement à la propriété sociale de la constitution du parti. Tel était le thème principal du congrès – soit le parti resterait fidèle à ses traditions socialistes ou les diluerait-il en une notion vague où « les gouvernements ont le pouvoir de fixer les limites du marché » et les références à l’éradication de la pauvreté sont retirés.

Le débat a été lancé par une personne éminente du parti, Bill Blaikie. De manière significative, Blaikie a été obligé d’argumenter à partir de la gauche et de nier qu’il s’agit d’un virage à droite. Il a appelé à un gouvernement de gauche et un Canada de gauche (tout en plaidant en faveur d’un préambule qui ne permettrait de réaliser aucun des deux). Atefa Akbary, une partisane de La Riposte, était l’oratrice suivante, et a fait une puissante contribution en français. Elle a dit qu’elle avait été une participante au mouvement étudiant du Québec et que la modération couperait le NPD de ces mouvements de masse et des jeunes qui cherchent un changement fondamental. Le NPD ne doit pas être considéré comme faisant partie de l’establishment. Farshad Azadian a également pris la parole et a dit que la seule façon de s’opposer aux idées pro-entreprises des Conservateurs était d’avoir des idées socialistes et pro-classe ouvrière vigoureuses. Sa contribution a reçu des applaudissements bruyants. Il est significatif que, malgré tous les discours sur la « modernisation », ce fût la jeunesse qui s’est levée pour défendre le socialisme dans le parti, quelque chose qui a été noté par plusieurs journalistes des médias dominants couvrant l’événement.

Malheureusement, à ce stade, le débat a été coupé. Après toute la couverture et l’attention à la question, seulement deux intervenants ont été autorisés à présenter un point de vue différent. La députée du NPD Libby Davies a dit que c’était incroyablement décevant, étant donné que certaines personnes s’étaient alignées sur les micros dès 06h00 du matin. Encore une fois c’était un exemple de l’étouffement du débat. On peut affirmer que de tenir un vote précoce n’était pas contre les règles, mais les conservateurs peuvent dire la même chose quand ils ont promulgué le bâillon sur une motion omnibus à la Chambre des communes. Comment le NPD peut-il sérieusement s’opposer aux actions antidémocratiques des conservateurs quand ils ont adopté la même tactique dans les discussions internes? Cet arrêt du débat est en fait non pas un signe de force, mais plutôt de faiblesse. Si vous êtes confiant dans vos idées, alors vous pouvez vous permettre d’être magnanime et de permettre aux gens de se défouler un peu. Un contrôle rigoureux par le haut a tendance à être très fragile, et tout l’édifice peut tomber quand il y a un véritable défi. Ceci est analogue à la chute des dictatures comme Moubarak en Égypte.

Le vote final était de 960 contre 188 en faveur du nouveau préambule, une défaite décevante pour la gauche dans le parti, mais il est possible que le total du vote « non » ait été diminué. Il y a eu plusieurs séries de reprise des votes avec les procédures d’appels et certains peuvent avoir décidé d’abandonner quand le décompte final est venu, en voyant de quelle manière les choses étaient dirigées. Au total, il y avait plus de 2 000 délégués inscrits et le vote pour couper court au débat était de 987 contre 271. À leur crédit, les députés Libby Davies, Niki Ashton, Alain Giguère et Jean Rousseau, ont voté pour le terme socialiste. Cependant, aucun d’entre eux n’était en fait organisé contre le virage à droite. Ce fut une grave erreur et l’amendement aurait pu être battu si d’éminentes personnalités de la gauche avaient soutenu une campagne pour le « Non ». Si vous ne luttez pas maintenant, vous serez forcé de lutter sur un terrain bien pire plus tard. C’est une leçon que l’on peut tirer de l’expérience de la gauche au sein du Parti travailliste britannique contre Tony Blair.

Les représentants du mouvement syndical brillaient par leur absence et leur silence. Seul les TUAC, qui ont soutenu Thomas Mulcair dans la campagne à la direction, étaient là en grand nombre. Le Syndicat des Métallos et le SCEP, traditionnellement de grands partisans du NPD, étaient presque totalement absents. Nous ne savons pas pourquoi cela a été le cas. Il semble que les syndicats, pour l’essentiel, aient soutenu le nouveau préambule et possiblement cela inclut même l’éminent syndicaliste de gauche et président de l’Ontario Federation of Labour, Sid Ryan. Peut-être que cela a été fait en échange d’un accord avec la direction du parti de s’opposer aux dispositions investisseur-État dans l’AECG, l’accord proposé de libre-échange avec l’Union Européenne. Tout cela n’est que spéculation, mais quelle que soit la véritable histoire, l’incapacité des syndicats de mobiliser autour de la défense de la propriété sociale est très peu clairvoyante et ouvre la porte au parti pour soutenir des privatisations dans le futur.

Malgré le résultat décevant, il est important de maintenir un sens de la proportion. Il s’agit d’un virage à droite, mais pas de la même manière que l’attaque de Blair contre les membres du Parti travailliste et la tentative de briser les liens avec les syndicats. En outre, ce ne sont pas les années 1990 qui ont vu des niveaux historiquement bas de grève et la chute du stalinisme. C’est l’époque de la crise capitaliste et la croissance du mouvement ouvrier sur le plan international. En réalité, avant le débat, personne d’autre que les plus obsessionnels des politicards étaient au courant de l’existence du préambule du parti. Ce débat est purement d’une importance symbolique. Le discours de Mulcair le samedi du congrès n’était pas sensiblement différent de celui de Jack Layton. Il a martelé les thèmes typiques de l’opposition aux coupures dans les régimes de retraite et l’assurance-emploi. Il s’est opposé aux réductions d’impôt des sociétés et a attaqué les libéraux et les conservateurs pour bloquer la loi anti-briseurs de grève – toute la marchandise bien typique du NPD.

Toutefois, tel que mentionné dans l’éditorial d’avril du journal Fightback, le choix devant le NPD est soit d’accepter la logique de l’économie de marché – et donc d’être contraint d’adopter l’austérité qui va de pair – ou bien de rompre avec le marché capitaliste et d’offrir des améliorations réelles aux travailleurs et à la jeunesse. Il n’y a pas de juste milieu. Ce que cette dérive vers la droite fait en pratique, c’est de lancer une bouée de sauvetage aux libéraux qui auparavant étaient sur le bord d’être rejetés dans la poubelle de l’histoire. Si le NPD se modère à un point tel qu’il devient indiscernable des libéraux, alors c’est une recette pour la défaite. Étant donné le choix entre les libéraux réels et leur doublure, les gens auront tendance à voter pour l’article authentique. Alors que ce débat à propos d’un virage à droite dans le NPD était dans la presse, le soutien pour le NPD est tombé à 23,6%, tandis que les libéraux ont fait un bond à 35,4%. La prochaine élection est encore très loin, mais si ces résultats se maintiennent, alors le soutien pour le tournant à droite de Mulcair va rapidement s’éroder.

Le centre de gravité du mouvement de masse au cours des prochaines années se déplace sur le terrain industriel. L’austérité est à venir avec une intensité accrue, ce qui va inévitablement conduire à des explosions. Les syndicats ne font rien – mais cela ne peut durer plus longtemps. Lorsque l’agitation gagnera le mouvement ouvrier, elle aura également son reflet dans le parti des travailleurs du Canada. Que ce soit dans un gouvernement mettant en œuvre l’austérité, ou perdant son soutien en raison de politiques évoluant vers la droite, les fissures et les divisions surgiront inévitablement. La gauche gagne de la force du mouvement de masse des travailleurs et des opprimés. Il est absolument vital que les socialistes se préparent à ces événements et construisent la tendance socialiste révolutionnaire organisée dans les rues, dans les mouvements des travailleurs et de la jeunesse, et dans le parti. De cette façon, nous serons en mesure de donner aux travailleurs et aux jeunes à la recherche d’un changement réel les idées socialistes claires qu’ils recherchent.