Photo : La Riposte socialiste

L’offensive sanglante d’Israël sur Gaza choque les consciences de millions de jeunes et de travailleurs, du Moyen-Orient au Québec. Le mouvement de solidarité international avec la Palestine s’organise. Pendant ce temps, les nationalistes québécois, pourtant si volubiles quand vient le temps de dénoncer quelconque atteinte à l’autodétermination du Québec, demeurent largement passifs devant l’atrocité d’un peuple qui se fait massacrer. 

Rejouer la cassette de l’impérialisme

Le 7 octobre dernier, dans les heures qui ont suivi l’attaque du Hamas sur Israël, c’est sans grande surprise que l’ensemble de la classe dirigeante canadienne s’est empressée de condamner la violence du Hamas, tout en passant sous silence les nombreux crimes de l’impérialisme israélien qui ont provoqué cette violence. 

Au Québec, on aurait pu s’attendre à ce que ceux qui luttent pour l’indépendance et parlent sans cesse de la défense de la nation se montrent solidaires de la Palestine, une nation brutalement réprimée, chassée continuellement de son territoire, et meurtrie par le nettoyage ethnique depuis 75 ans. Les nationalistes ont pourtant rejoué la même cassette de l’impérialisme occidental. 

Le premier ministre François Legault, à l’instar de son homologue fédéral Justin Trudeau, a dénoncé les manifestants qui prenaient la rue en solidarité avec la Palestine. Le chef du Bloc Québécois, Yves-François Blanchet, a même plaidé pour qu’Israël fasse une attaque au sol à Gaza, prétextant que cela ne constituerait pas des représailles contre le Hamas, mais plutôt « un geste de protection durable »! À croire ce que la CAQ et le Bloc racontent, on pourrait penser que c’est Israël, et non la Palestine, la nation opprimée, et que l’État israélien – qui a déjà tué plus de 10 000 Palestiniens depuis le 7 octobre – serait une pauvre victime faible et inoffensive. 

Québec solidaire, pour sa part, a commencé par simplement répéter l’argumentaire de la classe dirigeante. « Condamnation totale des attaques du Hamas » a déclaré son co-porte-parole Gabriel Nadeau-Dubois le 7 octobre, ne faisant aucune mention de la violence répétée de l’État israélien qui a mené à ce scénario. 

Québec solidaire a fini par déposer deux motions à l’Assemblée nationale, une le 26 octobre demandant que le gouvernement québécois envoie une « aide humanitaire » à Gaza, puis une autre le 1er novembre demandant un cessez-le-feu. Mais tout leur message présente une fausse équivalence entre la violence « des deux côtés ». La députée solidaire Ruba Ghazal affirme qu’on ne devrait pas « choisir un camp ou l’autre, mais plutôt choisir le camp de la paix ». Bien que Ghazal dénonce « l’apartheid et la colonisation illégale » en Israël, l’attitude de ne pas « choisir de camp », dans les faits, participe du discours dominant où la violence des opprimés est mise sur le même pied que la violence des oppresseurs. 

Quant au Parti québécois, après avoir dénoncé l’attaque du Hamas le 7 octobre, le silence radio a régné pendant plus de 10 jours, comme si les députés péquistes vivaient dans une bulle fermée. Ce n’est que le 17 octobre qu’ils sont sortis de leur mutisme pour faire une molle condamnation de la violence qui ne se conforme pas au droit international, un discours à peine différent des libéraux de Trudeau.

Je me souviens plus

Il fut un temps où les leaders du mouvement nationaliste, malgré toutes leurs faiblesses, ne rampaient pas autant devant l’impérialisme américain.

Par exemple, au lendemain de l’attentat de Munich en 1972 lors de laquelle l’organisation palestinienne Septembre noir avait tué 11 athlètes olympiques israéliens, le chef du PQ René Lévesque n’avait pas pris part à l’hystérie des médias et gouvernements se portant à la défense d’Israël. Pourtant très loin d’avoir été un militant pour la cause palestinienne, il disait, dans un texte publié dans le Journal de Montréal le lendemain de l’attentat : 

« Face à l’intransigeance impériale d’Israël, à l’hypocrite collusion des grandes puissances et à l’universelle indifférence des autres, ses activistes ne voient plus d’autre recours que le plus insensé des extrémismes. Privés d’un foyer national (que l’ONU leur garantissait dès 1948, mais n’a jamais eu le courage de leur faire remettre) et de toute chance militaire ou diplomatique de la reconquérir, ils se rabattent sur l’arme des impuissants : la terreur aveugle. »

Ce n’est une déclaration de solidarité d’aucune manière, mais c’est beaucoup plus proche d’une position anti-impérialiste que tout ce que nous avons entendu de la bouche des nationalistes québécois depuis l’attaque du 7 octobre dernier. 

Le PQ a d’ailleurs été le premier parti politique d’Amérique du Nord à accueillir à son congrès de 1981 des représentants de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), en compagnie d’une centaine d’invités internationaux (La Presse, 1981-12-07). Alors qu’à l’époque l’OLP était décriée comme organisation « terroriste » par l’impérialisme américain, les militants du parti n’avaient visiblement pas plié sous la pression des médias et de l’establishment politique. Le contraste avec la servilité actuelle du PQ est frappant.

De moins en moins solidaires

Si à QS on semble actuellement marcher sur des œufs pour ne pas défendre clairement la Palestine, c’est un changement par rapport à la position historique du parti. Amir Khadir, lorsqu’il était co-porte-parole du parti, était reconnu pour ses dénonciations de la Nakba, le nettoyage ethnique des Palestiniens en 1948 qui a donné naissance à Israël. 

Également, le parti intervenait activement dans le mouvement de solidarité avec la Palestine. En 2009, des militants solidaires ont pris part à la délégation québécoise qui est allée en Israël et dans les territoires occupés afin de faire pression pour mettre fin au blocus sur Gaza. 

En 2011, Manon Massé a participé à l’opération humanitaire de la flottille de la Liberté II, comme représentante de Québec solidaire. L’opération consistait à briser le blocus israélien sur Gaza pour y apporter, entre autres choses, des médicaments. C’était une opération dangereuse, qui avait causé neuf morts l’année précédente, tombés sous les tirs israéliens. Le parti justifiait cet envoi dans un communiqué : « L’urgence est telle que nous ne pouvons plus simplement appuyer le seul processus de paix, au point mort depuis bien trop longtemps, il faut agir par tous les moyens pacifiques, y compris le boycott, pour que le gouvernement israélien change de comportement. La société civile doit se mobiliser […]» Cette époque de militantisme est révolue à QS. 

Le contraste avec aujourd’hui est encore plus clair lorsqu’on observe l’attitude qu’a eue la direction du parti lors de l’attaque de 2014, situation qui rappelle la catastrophe actuelle. En représailles à une attaque du Hamas sur Israël qui avait fait moins de cent morts, l’État israélien avait lancé une violente offensive sur Gaza, qui a tué 2200 Palestiniens, incluant plus de 500 mineurs, et en avait laissé 100 000 autres sans-abri. Dès le début des violences, QS avait dénoncé « vivement l’agression militaire israélienne en cours à Gaza ». 

La porte-parole du parti de l’époque, Françoise David, avait accusé le gouvernement canadien : « Alors que plus de 170 Palestiniens-nes ont déjà été tués lors de bombardements israéliens, le gouvernement de Stephen Harper réitère son soutien à Israël et ne fait que dénoncer les « terroristes » palestiniens. Il est honteux de voir le gouvernement canadien cautionner inconditionnellement cette agression et banaliser du même coup la mort de plus de cent civils, femmes et enfants compris. » Rien n’a fondamentalement changé dans la situation depuis 2014 qui nécessiterait de changer de discours. En fait, l’intensification de la colonisation des territoires occupés et l’augmentation des crimes sionistes depuis neuf ans justifieraient de hausser le ton. 

Alors que l’oppression des Palestiniens s’est grandement exacerbée dans les dernières années et qu’au surplus, nous sommes en train d’assister en direct à un violent nettoyage ethnique, la direction de QS semble aujourd’hui préférer ne pas trop bousculer l’establishment politique que de se tenir debout pour les opprimés. C’est comme si la solidarité ne comptait plus lorsqu’elle est le plus nécessaire.

Dans une de ses publications Facebook sur la guerre, GND parlait du « courage » de lutter pour la paix. Mais le vrai courage (et la moindre des choses, en réalité) aurait été pour QS de mobiliser massivement ses militants pour les manifestations pour la Palestine, et d’être ferme face aux nombreuses calomnies qui s’en seraient suivies. Mais le parti a pris des semaines avant d’envoyer quelques députés dans les manifestations de solidarité. Cela s’inscrit dans cette dynamique présente depuis quelques années, où le parti évite studieusement tout ce qui pourrait lui donner une allure radicale aux yeux de la classe dirigeante et de ses partis.

Le cul-de-sac capitaliste

Dans les dernières années, le mouvement indépendantiste québécois n’a pas hésité à se montrer solidaire des Catalans dont le droit à l’autodétermination a été brutalement bafoué par l’État espagnol. Le PQ, QS et le Bloc ont même pris la rue pour protester. Dès les premiers signes d’ingérence de l’État espagnol dans le déroulement du référendum pour l’indépendance de la Catalogne en 2017, Jean-François Lisée, alors chef du PQ, avait dit : « Nous, quand les droits démocratiques sont réprimés, que ce soit Afrique du Sud, en Ukraine, en Russie, en Chine, on est là ». Le chef du Bloc Yves-François Blanchet est même allé en Catalogne le mois dernier pour une conférence sur l’indépendance. « Les nations qui n’ont pas tous les attributs de la souveraineté ont intérêt à se donner, dans une certaine mesure, une voix commune », a-t-il alors dit. Mais alors pourquoi cette solidarité ne s’étend-elle pas à la Palestine? 

En fait, ce « deux poids, deux mesures » s’explique. L’Espagne, qui opprime les Catalans, n’est pas un allié d’une importance aussi stratégique qu’Israël l’est pour les États-Unis. La cause catalane n’est donc pas aussi contestée dans l’arène impérialiste que celle des Palestiniens, et soutenir ceux-ci ne déclenche pas autant de critiques. Ce n’est alors pas difficile de se montrer solidaire. De la même manière, il n’est pas très subversif de faire de vagues appels pour la paix au Moyen-Orient. Personne n’est contre la vertu! 

La servilité des politiciens nationalistes devant les impérialistes s’est aussi vue dans la guerre par procuration entre les États-Unis et la Russie qui se déroule en Ukraine, alors qu’ils ont complètement repris le discours de l’impérialisme américain.  

En réalité, la couardise des nationalistes d’aujourd’hui quant à la Palestine est un exemple frappant de la transformation du mouvement nationaliste. Dans les années 50 et 60, la lutte pour l’émancipation nationale du Québec s’inscrivait dans une lutte internationale contre le colonialisme et l’impérialisme, et était liée à la lutte du mouvement ouvrier contre l’exploitation capitaliste. C’est dans cet esprit que deux membres du FLQ sont même allés s’entraîner en Jordanie avec des résistants palestiniens. Les comparaisons entre le Québec et la Palestine, ou encore l’Irlande, sont courantes dans le mouvement au Québec encore aujourd’hui. 

Mais avec le recul du mouvement ouvrier dans les années 70, c’est l’aile droite du mouvement nationaliste, incarnée par le PQ, qui a fini par dominer la lutte, transformant la lutte contre l’oppression en une lutte pour une nation capitaliste particulière. Depuis, la bourgeoisie québécoise s’est pleinement développée, ce qui signifie que les sommets du mouvement nationaliste n’ont aucune intention de lutter contre les patrons qui nous exploitent et nous oppriment. 

Aujourd’hui, la droite nationaliste défend pleinement les intérêts du patronat, et fait mousser les questions « identitaires » et la xénophobie pour distraire les travailleurs de la crise du capitalisme. Pendant ce temps, QS plie sous la pression de peur de ne pas paraître aussi nationaliste que la CAQ ou le PQ et pas assez  « respectable » pour former un gouvernement (capitaliste).

Le mouvement nationaliste a pleinement accepté le système capitaliste, et ses représentants politiques jouent le jeu de la politique bourgeoise. Cherchant anxieusement une place à la table des grands, les leaders des partis nationalistes absorbent les préjugés des impérialistes, ou évitent de les confronter sur les enjeux principaux. Cela signifie en l’occurrence de capituler lâchement et ne pas soutenir la lutte pour la libération de la Palestine. Le nationalisme, qu’il soit de droite ou de gauche, en divorçant la lutte pour la libération nationale de la lutte pour une nouvelle société libérée du capitalisme, mène la lutte contre l’oppression dans un cul-de-sac. 

Pour une perspective internationaliste 

Décriant la lâcheté des politiciens québécois, passifs devant l’oppression des Palestiniens, le révolutionnaire Michel Chartrand a déjà dit : « Quand un p’tit peuple se fait massacrer, il me semble qu’un autre p’tit peuple devrait se lever. » Ayant fondé le comité Québec-Palestine en 1972 après être allé visiter des camps de réfugiés palestiniens, Chartrand incarnait bien ce que devrait être la lutte pour la libération nationale : une lutte internationaliste contre le capitalisme. 

Ultimement, l’oppression des Palestiniens provient de l’impérialisme, que Lénine décrivait comme le stade suprême du capitalisme, un système dans lequel les intérêts des grandes puissances sont plus importants que les vies humaines et le sort des peuples opprimés. C’est ce système capitaliste que nous devons renverser. Dans ce cas précis, la classe dirigeante israélienne peut agir en toute impunité grâce au soutien dont elle bénéficie ici en Occident. La classe ouvrière au Québec et au Canada a ainsi un rôle à jouer pour dénoncer la complicité de nos dirigeants et lutter pour renverser notre propre classe dirigeante.

En Palestine comme ailleurs, la libération nationale se fera par des moyens révolutionnaires, ou elle ne se fera pas. Les communistes de la Tendance marxiste internationale disent : Pour une fédération socialiste du Moyen-Orient! Intifada jusqu’à la victoire!