Afghanistan : la trahison et le cynisme de l’impérialisme américain

La plus longue guerre de l’histoire des États-Unis s’est achevée dans la honte et l’humiliation pour l’impérialisme américain. Vingt ans après l’invasion de l’Afghanistan, la plus puissante force militaire que le monde ait connue a subi une défaite totale face à une bande de fanatiques religieux arriérés.

  • Hamid Alizadeh
  • jeu. 19 août 2021
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Crédit : marxist.com

Cet article a été écrit le 16 août 2021.


La plus longue guerre de l’histoire des États-Unis s’est achevée dans la honte et l’humiliation pour l’impérialisme américain. Vingt ans après l’invasion de l’Afghanistan, la plus puissante force militaire que le monde ait connue a subi une défaite totale face à une bande de fanatiques religieux arriérés.

La chute de Kaboul le 15 août 2021 a marqué la fin d’une offensive éclair qui a vu les Talibans conquérir la moitié du pays en sept jours, jusqu’à finir par occuper aujourd’hui tout le pays. Il n’y a pourtant pas si longtemps, le président américain Joe Biden assurait que les Taliban ne prendraient pas plus la capitale afghane que le reste du pays, et qu’un gouvernement de « réconciliation nationale » allait se mettre en place, comme cela avait été convenu avec les djihadistes afghans.

Il y a à peine un mois, Biden déclarait encore avec assurance : « La probabilité que les Talibans envahissent tout et conquièrent l’ensemble du pays est hautement improbable. Nous avons fourni à nos partenaires afghans tous les outils – laissez-moi insister : tous les outils, la formation et l’équipement d’une armée moderne. »

Aujourd’hui, toutes ces promesses se sont révélées vides. Les troupes américaines n’avaient même pas encore achevé leur retrait que les Talibans sont passés à l’assaut. La rapidité de leur offensive a jeté le gouvernement déjà chaotique de Kaboul dans une panique complète.

D’après les responsables américains, le régime afghan, son armée et sa police étaient censés prendre en charge la gestion du pays lorsque les États-Unis se seraient retirés. Mais le régime n’en a été nulle part capable. L’armée afghane, qui prétendait compter près de 300 000 hommes entraînés et armés par les Américains, s’est désintégrée face à des islamistes équipés seulement d’armes légères et qui, selon les estimations les plus généreuses, ne comptent pas plus de 75 000 combattants à plein temps. Les villes sont tombées les unes après les autres et les soldats gouvernementaux se sont rendus en masse, parfois en vendant leurs armes aux Talibans au passage.

Alors que la ligne de front se rapprochait de Kaboul, le gouvernement a annoncé qu’il négociait un transfert pacifique du pouvoir, qui devait garantir les droits fondamentaux des Afghans. Le président Ashraf Ghani a même annoncé qu’un tel accord avait été conclu et devait aboutir à un gouvernement de transition composé à la fois de représentants des Talibans et de l’ancien régime.

Avant même que les détails de cet accord n’aient eu le temps d’être rendus publics, la nouvelle était arrivée que Ghani avait fui le pays. Le président s’est adressé une dernière fois à la nation pour l’exhorter à se battre jusqu’au bout, avant de faire ses valises en catastrophe et de monter dans un avion en route pour le Tadjikistan et un exil confortable. Son régime corrompu et réactionnaire s’est effondré comme un château de cartes.

Au cours de la semaine écoulée, le contraste a en effet été frappant entre les déclarations tonitruantes des généraux et des politiciens du régime – qui juraient tous de se battre jusqu’au bout – et leur absence totale de résistance le moment venu. Dans une ville après l’autre, tous ces héros autoproclamés ont purement et simplement abandonné le pouvoir aux Talibans avant de fuir le pays ou, dans certains cas, d’offrir leurs services au nouveau régime. Le ministre de la Défense Bismillah Mohammedi aurait ainsi fui avec ses fils aux Emirats Arabes Unis. Homayoon Hamayun, l’ancien vice-président de l’Assemblée nationale et un ancien partisan de Ghani, a pour sa part affirmé que les Talibans venaient de le nommer Chef de la police de Kaboul.

Alors que les masses étaient bercées d’un faux sentiment de sécurité par les mensonges officiels, des accords se nouaient en coulisse entre les responsables de l’ancien régime et les Talibans. Dans les heures qui ont précédé la chute de Kaboul, une délégation de seigneurs de guerre et d’hommes d’affaires originaires s’est rendue au Pakistan – le principal soutien financier des Talibans. On peut sans risque présumer qu’il s’agissait pour eux de négocier leurs futures places dans l’ordre nouveau. Certains affirment même que les impérialistes américains ont également participé à des négociations semblables, pour s’assurer que leur évacuation de Kaboul serait relativement pacifique et éviter ainsi une humiliation encore plus grande.

A l’approche des Talibans, des milliers d’Afghans se sont rués sur les services consulaires américains pour obtenir un visa et une place dans un avion vers l’étranger. Nul doute que les efforts de la majorité d’entre eux ont été vains. A partir de samedi, l’aéroport de Kaboul a été envahi par une foule de gens désespérés qui tentaient de fuir le pays en catastrophe. D’autres ont tenté de fuir en voiture. Cela a provoqué la paralysie complète du trafic routier dans la capitale.

Cette panique s’explique aisément. Malgré les déclarations officielles des Talibans, qui s’engagent à respecter les droits des femmes et à accorder leur pardon à tous ceux qui ne leur résisteront pas, des témoignages décrivent de nombreux meurtres de femmes et d’intellectuels. A Herat, les étudiantes ont été chassées de l’université et les employées de banque renvoyées chez elles. A Kandahar, des Talibans auraient fouillé des maisons à la recherche de journalistes ayant travaillé pour des journaux étrangers. Dans les jours et les semaines qui viennent, cette répression va continuer au fur et à mesure que les Talibans tenteront de renforcer leur pouvoir.

Les porte-parole des Talibans mettent aujourd’hui en scène leur soi-disant modération. « Nous avons changé » disent-ils. « Nous avons beaucoup appris du passé », etc. Aucune confiance ne peut être accordée à ces déclarations qui ne visent qu’à apaiser la communauté internationale et, ainsi, à réduire le risque d’une intervention militaire étrangère.

L’hypothèse d’une telle intervention est pourtant bien improbable. Joe Biden l’a dit : il n’y aura pas de retour en arrière. Ses ennemis politiques en ont profité pour l’accuser d’avoir « trahi les Afghans ». Il a vainement tenté de se défendre en rappelant que c’est son prédécesseur, Donald Trump, qui a pris la fatidique décision de retirer les troupes américaines d’Afghanistan. Cette controverse ne satisfait personne et ne change rien de toute façon, puisque ni les Républicains, ni les Démocrates ne proposent sérieusement d’organiser une nouvelle intervention militaire.

Certes, le nombre de soldats américains déployés en Afghanistan a gonflé, passant en une semaine de mille à six mille hommes. Cet afflux de troupes ne vise néanmoins pas à combattre les Talibans, mais à faciliter l’évacuation des quelque vingt mille citoyens américains qui se sont retrouvés piégés à Kaboul. Les États-Unis ne vont rien faire pour tous ceux qui se retrouvent aujourd’hui menacés par les Talibans.

Une telle situation n’était pourtant pas censée se produire. Le retrait américain d’Afghanistan devait être une affaire bien ordonnée. D’après Biden, il ne devait pas y avoir de répétition de l’évacuation en catastrophe de Saïgon en 1975, cette débâcle humiliante qui avait marqué la fin de la guerre du Vietnam :

« Les Talibans ne sont pas l’armée sud… nord-vietnamienne. Ils ne sont pas du tout comparables en termes de capacités. Il ne peut exister de situation où l’on verrait des gens évacués depuis les toits de l’ambassade des États-Unis en Afghanistan. La situation n’est pas du tout comparable. »

En réalité, ce à quoi nous assistons est précisément une répétition du scénario de Saïgon, jusqu’au détail des hélicoptères décollant en urgence de l’ambassade américaine. La seule différence notable est que la situation est d’une certaine façon pire que celle de 1975. La débandade gouvernementale est telle que dans la plupart des cas, les Talibans ont progressé de district en district sans rencontrer la moindre opposition.

Il y a à peine quelques mois, alors qu’il annonçait le retrait américain d’Afghanistan, Biden avait promis qu’il assurerait la survie du régime afghan, qu’il empêcherait une résurgence de la domination islamiste sur le pays et qu’il protégerait les droits des femmes. Il devait réussir tout cela tout en maintenant ses troupes à une distance raisonnable. Il est néanmoins vite devenu évident que les États-Unis pouvaient à peine garantir la sécurité de leurs propres employés, sans même parler de celle du peuple afghan.

Finalement, beaucoup de ceux qui avaient eu les moyens de se payer un billet d’avion vers l’étranger n’ont même pas pu décoller puisque l’armée américaine avait bloqué l’aéroport de Kaboul au profit de ses propres vols d’évacuation. Bien sûr, ce sort a été réservé aux gens des classes moyennes et aisées. La plupart des Afghans ne peuvent même pas se payer le taxi jusqu’à l’aéroport. Pour ceux-là, il n’y avait pas grand-chose à faire, à part attendre et se préparer à de nouvelles et terribles souffrances.

L’immense foule qui s’était rassemblée à l’aéroport depuis que les Talibans avaient pris le contrôle de la ville a fini par envahir les pistes dans une tentative désespérée de fuir le pays. Ils savaient en effet parfaitement que le simple fait d’être vu en train de revenir de l’aéroport pouvait signer leur arrêt de mort. Mais plutôt que de les accueillir à bras ouverts, les soldats américains ont tiré en l’air pour essayer de les empêcher de monter à bord des avions. Lundi, deux hommes ont même été tués par des soldats américains, tandis que trois autres seraient morts en tombant de l’avion auquel ils s’étaient accrochés au décollage. Voilà comment l’impérialisme américain traite ses « alliés » : ils lui servent de chair à canon tant qu’il en a besoin et il s’en débarrasse sans ménagement lorsqu’ils deviennent inutiles.

Comment les Talibans l’ont-ils emporté?

Le gouvernement Biden n’a pas perdu de temps pour rejeter la responsabilité de cette tragédie sur le peuple afghan lui-même : celui-ci aurait refusé de se défendre lui-même. En vérité, la façon même dont Washington a géré le retrait américain a lourdement fait pencher le rapport de forces en faveur des Talibans. En annonçant la date du retrait américain de longs mois à l’avance, Biden a donné le feu vert aux Talibans pour passer à l’attaque, ainsi que le temps nécessaire pour préparer leur offensive.

Mais la duplicité des Américains est allée encore plus loin. En février, lors des négociations, les Américains ont accédé à toutes les demandes des Talibans sans obtenir la moindre concession de leur part. Cela a gonflé le moral des islamistes, tout en envoyant un signal clair à l’armée afghane. Les généraux et les politiciens afghans se sont ensuite précipités pour tenter de conclure leurs propres accords avec les Talibans.

Puis, malgré plusieurs avertissements du Pentagone, Biden a refusé d’accélérer le retrait américain. Cette longue transition n’a fait qu’amplifier le chaos général, au grand profit des djihadistes. A chaque étape, l’incompétence et l’impréparation des Américains, ainsi que leur capitulation face à toutes les demandes des Talibans, ont accéléré la désintégration de l’armée et du régime de Kaboul.

L’Etat afghan depuis 2001 n’a jamais été autre chose qu’un pantin de l’impérialisme américain, un outil pour faciliter l’occupation de l’Afghanistan, qui a causé des centaines de milliers de morts et des souffrances énormes pour les masses, en même temps qu’un appareil répressif parfaitement impopulaire et détesté. Il était formé des opportunistes les plus réactionnaires, technocrates expatriés, seigneurs de guerre et chefs traditionnels, prêts à vendre leur pays au plus offrant. Pour eux, le régime n’était qu’un moyen de s’enrichir. Sous leur domination, la majorité du peuple était confinée dans une misère noire tandis que les services publics les plus élémentaires étaient inaccessibles sans pots de vin.

Forte sur le papier de près de 300 000 hommes, l’armée afghane était composée pour une bonne part de « soldats fantômes ». C’est-à-dire de soldats fictifs dont le seul but était de faire atterrir les soldes supplémentaires dans les poches d’officiers malhonnêtes. Au final, l’armée afghane n’a jamais eu d’autre rôle que de fournir une couverture à l’impérialisme américain. Dans les rares cas où elle arrivait à jouer un rôle opérationnel, elle agissait plus comme une force d’occupation que comme une armée « nationale ». Pas étonnant, donc, que, privé de l’appui américain, cet appareil décrépit se soit effondré dès le premier choc.

Les masses afghanes haïssent les Talibans. Mais personne n’accordait la moindre confiance au régime corrompu imposé par les États-Unis, et personne n’était prêt à risquer sa vie pour le défendre. Les Talibans au contraire sont des fanatiques endurcis qui voient la mort en martyr comme une récompense suprême.

Ce mouvement réactionnaire a été soutenu et entretenu pendant des décennies par la classe dirigeante pakistanaise, qui rêve depuis longtemps de dominer l’Afghanistan. Ces dernières années, les Talibans ont aussi bénéficié d’un soutien croissant de l’Iran, de la Chine et de la Russie, qui sont tous inquiets de l’instabilité croissante qu’implique le retrait américain et espèrent arriver à contenir les islamistes à l’intérieur des frontières de l’Afghanistan en échange de contreparties politiques et économiques. Cela ne sera pas forcément facile. Les Talibans ne sont pas un mouvement centralisé, pas plus qu’ils ne sont dirigés par des hommes parfaitement rationnels qui peuvent être contrôlés aisément. L’impérialisme américain en a fait plusieurs fois l’expérience.

Sur qui compter?

Le cynisme des impérialistes occidentaux est aujourd’hui évident. Les mêmes personnes qui parlaient en continu des soi-disant « valeurs occidentales » telles que la « démocratie » et les « droits de l’homme », se retirent aujourd’hui de l’Afghanistan en abandonnant leurs supplétifs locaux aux bons soins d’une bande de barbares arriérés. Tant « qu’aider les gens » voulait dire bombarder et envahir un pays pauvre, aucune dépense n’était superflue. Mais si cela signifie sauver des vies humaines en les aidant à fuir le déferlement d’un régime meurtrier, cela change du tout au tout.

En 2001, l’impérialisme américain et ses alliés de l’OTAN ont envahi l’Afghanistan en promettant d’en extirper l’islamisme et de bâtir une nation moderne et démocratique. Au bout de vingt ans, après des dépenses faramineuses, des centaines de milliers de morts et le sacrifice d’une génération entière, l’Afghanistan n’a pas avancé d’un pouce dans cette direction. Après avoir ravagé le pays pendant vingt ans, ces lâches s’enfuient et abandonnent le peuple afghan à la démence des Talibans.

Les masses afghanes ne peuvent dépendre des puissances occidentales, pas plus que des classes dirigeantes de Russie, de Chine ou d’Iran qui essaient de manipuler la situation à leur profit depuis les coulisses. Elles ne peuvent compter que sur leurs propres forces, qui, une fois mobilisées, sont plus puissantes que toutes les armées. Toute leur histoire le prouve.

Le peuple afghan est passé par les pires épreuves, mais a toujours triomphé de la réaction. Nous sommes sûrs que, cette fois-ci encore, il finira par se lever et nettoiera son pays de toute trace d’obscurantisme, de réaction et d’impérialisme.