
Le 18 février, Unifor, le plus grand syndicat du secteur privé au Canada, a publié son plan le plus détaillé à ce jour pour « défendre notre économie contre les attaques lancées par Trump » et pour protéger les emplois canadiens. La déclaration, signée par la présidente d’Unifor, Lana Payne, reprend les positions adoptées par de nombreux autres dirigeants syndicaux canadiens sur la guerre commerciale. En ce sens, la déclaration de Payne peut être considérée comme la plateforme, non seulement de la direction d’Unifor, mais aussi d’une grande partie de la bureaucratie syndicale canadienne.
Dans cette déclaration, on trouve un programme en neuf points qui s’ouvre sur un appel à une « réponse solide menée par les travailleuses et travailleurs ». Qui est contre la vertu? Cependant, plus on avance dans la lecture, et plus il devient clair que Payne relègue les travailleurs et leurs syndicats au second plan par rapport aux actions des politiciens et des entreprises.
Le troisième point, le plus long de la déclaration de Payne, recommande des représailles tarifaires, et suggère de confier les contrats du gouvernement pour des choses telles que la construction d’infrastructures à des entreprises canadiennes. « La fabrication au Canada est importante », selon Payne.
Quelques problèmes se posent ici. Premièrement, en quoi les tarifs et l’attribution de contrats sont-ils des mesures « menées par les travailleurs »? Les travailleurs ont-ils le droit de voter sur et de définir ces tarifs? Les travailleurs décident-ils quelles entreprises reçoivent des contrats du gouvernement? Il ne s’agit pas de mesures « menées par les travailleurs », mais de mesures conçues par les politiciens et les chefs d’entreprises sur lesquelles le citoyen ordinaire n’a aucun droit de regard ou de contrôle.
Ces mesures ne profiteront pas non plus aux travailleurs et ne sauveront pas d’emplois. Les contre-mesures tarifaires sur les produits américains n’empêcheront pas les licenciements et les fermetures d’usines. Leur objectif est de protéger les parts de marché et les profits des entreprises canadiennes – celles-là mêmes qui licenciaient leurs compatriotes canadiens avant le retour de Trump au pouvoir. En outre, en augmentant le coût des importations américaines, les travailleurs d’ici seront contraints de payer plus cher lorsqu’ils iront faire leurs courses. Les politiques favorisant l’approvisionnement « fabriqué au Canada » ne sont pas meilleures et ne feront que garantir que davantage de contrats seront attribués à des entreprises corrompues et inefficaces telles que SNC-Lavalin (aujourd’hui rebaptisée Atkins Realis), qui ont arnaqué les Canadiens pendant des décennies.
Au point six, Payne souligne la nécessité d’« obtenir des investissements et accroître notre production à valeur ajoutée », affirmant qu’« Unifor travaille de façon continue avec les gouvernements et l’industrie pour atteindre cet objectif ». Ce dernier point fait référence aux quelque 57 milliards de dollars de subventions gouvernementales et de crédits d’impôt accordés aux constructeurs automobiles et aux fabricants de batteries pour l’installation de nouvelles usines au cours des dernières années – des décisions que les dirigeants d’Unifor ont approuvées et qu’ils ont contribué à négocier.
Cette soi-disant « stratégie industrielle » est un autre nom pour l’aide aux entreprises – le BS corporatif. Son principal objectif est de contribuer à gonfler les profits des entreprises qui reçoivent cette aide, alors que le nombre d’emplois créés est généralement minime comparé à la taille de la somme versée. Dans le cas des aides accordées aux constructeurs automobiles et aux fabricants de batteries, on estime que chaque emploi coûtera aux contribuables jusqu’à 4 millions de dollars.
Dans certains cas, cette aide ne mène même pas à la création d’emploi. En février, Stellantis a déclaré qu’elle « mettait sur pause » le travail sur sa Jeep Compass dans son usine de Brampton, bien qu’elle ait reçu des milliards du gouvernement pour augmenter la production. Les entreprises qui reçoivent ces milliards en profitent certainement, mais pas les gens ordinaires qui devront payer la facture et ni ceux qui ont besoin d’un emploi. Dans sa déclaration, Payne suggère que ces subventions sont non seulement nécessaires, mais qu’elles devraient être maintenues et renforcées.
Lors de plusieurs entrevues, Payne a également défendu l’idée de « soutiens industriels » pour les entreprises telles que les producteurs d’acier. Ce n’est là que du langage de politicien qui masque ce dont il s’agit réellement – des plans de sauvetage pour les entreprises. Les « subventions salariales » de l’ère COVID ont été présentées par certains comme un modèle potentiel pour de tels sauvetages. Cependant, dans de nombreux cas, ces fonds ont tout simplement été empochés par les patrons tandis que leurs travailleurs étaient tout de même licenciés. Dans le cas d’Air Canada, l’un des principaux bénéficiaires des « subventions salariales », la direction a tout de même licencié la moitié de ses effectifs, tout en refusant de rembourser les clients pour les vols annulés et en s’octroyant des primes mirobolantes.
Au huitième point, Payne écrit que « si le gouvernement décide d’augmenter ses dépenses en matière de défense, les sommes investies devront servir à défendre notre souveraineté en tant que nation et profiter aux travailleuses et travailleurs canadiens ». Néanmoins, dans une précédente partie de sa déclaration, Payne fustige « certaines et certains [qui] croient que le Canada devrait se plier à la volonté américaine et accepter les concessions demandées par Trump », concluant que « nous ne devons absolument pas céder aux demandes du président ». Une augmentation importante des dépenses militaires est l’une des principales demandes de Trump. Payne s’est-elle alors elle-même « pliée à la volonté américaine » dans le temps qu’il lui a fallu pour écrire quelques centaines de mots?
Augmenter les dépenses militaires aurait de graves conséquences. Ne serait-ce que pour atteindre 2% du PIB consacré à ces dépenses, cela reviendrait à dépenser 20 milliards de dollars de plus par année. Cela entraînerait de profondes coupes dans des domaines tels que les soins de santé et d’autres programmes sociaux. Au point deux, Payne parle du « besoin pressant d’apporter des améliorations à notre filet social inadéquat » – encore une fois, personne ne peut être contre cette idée. Cependant, en acquiesçant aux exigences de Trump en matière de dépenses militaires, ces mêmes programmes, comme l’assurance-emploi, seraient mis à mal par manque de financement. La déclaration de Payne ne contredit pas seulement la réalité, elle se contredit elle-même.
Collaboration de classe
Protéger les emplois est une véritable préoccupation pour les travailleurs canadiens, alors que la guerre commerciale se profile à l’horizon. Or, les propositions de Lana Payne ne vont pas dans ce sens. Au lieu d’une réponse « menée par les travailleurs », le lecteur se voit proposer des mesures conçues et mises en œuvre par Ottawa et Bay Street. Au lieu de politiques destinées à favoriser les travailleurs, le lecteur se voit proposer des cadeaux pour les grandes entreprises canadiennes. Notamment, ces mêmes entreprises échappent à toute critique sérieuse dans la déclaration de Payne, tandis que les libéraux de Trudeau – qui, il y a quelques mois à peine, ont brisé la grève des postiers – ne sont pas mentionnés du tout. En ce sens, la déclaration de Payne ne sert pas de guide pour les travailleurs canadiens, mais de couverture de gauche pour les politiciens et les chefs d’entreprise du Canada.
La déclaration de Payne ne devrait pas surprendre. Ces dernières années, les dirigeants syndicaux ont poursuivi une politique visant à établir des relations amicales avec les libéraux hostiles aux travailleurs, tout en étouffant la combativité dans leurs rangs. Cela a atteint son paroxysme après la réélection de Trump, lorsque les dirigeants syndicaux ont rejoint le Conseil sur les relations canado-américaines – une alliance dominée par les politiciens capitalistes et les grands groupes d’affaires. Payne elle-même est membre du Conseil, aux côtés de personnalités telles que Flavio Volpe, président de l’Association des fabricants de pièces d’automobile, et Jean Charest, le détesté ancien premier ministre du Québec et ancien chef des conservateurs fédéraux. Dans une publication sur X, Payne est revenue sur la première réunion du Conseil, déclarant que « lorsqu’on se bat, il est utile d’avoir des amis et de s’en faire des nouveaux ». Il s’agit d’une collaboration de classe dans sa forme la plus aboutie.
Mais les politiciens bourgeois et les chefs d’entreprise canadiens ne sont pas nos amis. Les PDG canadiens étaient nos ennemis hier et le restent aujourd’hui. Des mesures telles que les tarifs, l’octroi de contrats publics et les subventions sont conçues pour servir ceux qui sont en haut de l’échelle, et non le travailleur canadien moyen. Ces politiques propatronales servent à freiner les travailleurs dans leur lutte pour la protection des emplois et n’ont donc pas leur place dans le mouvement syndical.
Le mouvement doit défendre une véritable « réponse menée par les travailleurs » : l’occupation des lieux de travail menacés de fermeture et l’ouverture des livres de comptes de toute entreprise qui utilise les turbulences commerciales pour justifier des licenciements massifs. Ces méthodes ont déjà fonctionné par le passé, et peuvent fonctionner à nouveau. Certes, ce n’est pas la voie la plus facile. Mais face à une crise de cette ampleur, c’est la seule manière réaliste de sauver des emplois.