La loi 21 a fait sa première victime. Fatemeh Anvari, qui enseignait à l’école primaire dans la municipalité de Chelsea, en Outaouais, a perdu son poste d’enseignante parce qu’elle porte le voile. La loi a eu exactement l’effet voulu par ses défenseurs et a exclu une personne de l’enseignement spécifiquement en raison de sa religion.
Plus personne ne peut nier le caractère discriminatoire de la Loi sur la laïcité de l’État, qui interdit aux personnes en position d’autorité, notamment les enseignantes, les policiers et les juges, de porter des signes religieux. François Legault a même candidement avoué que Mme Anvari n’aurait pas dû être embauchée, autrement dit qu’elle aurait dû être discriminée à l’embauche. Rien n’était reproché à Mme Anvari, ni manque de professionnalisme, ni prosélytisme religieux, autre que son voile. Contrairement aux prétentions de ses défenseurs nationalistes identitaires, la loi 21 n’a rien à voir avec la laïcité, et tout à voir avec le racisme.
Vrai racisme
Pour rappel, la loi 21 avait été adoptée en 2019 après près de deux décennies d’offensive médiatique raciste contre les musulmans, déclenchée suite aux attentats du 11 septembre 2001 et aux vagues d’immigrants et de réfugiés en provenance du Moyen-Orient provoquées par les guerres d’Afghanistan, d’Irak, de Syrie et de Libye. À travers tout l’Occident, les commentateurs de droite ont fait un tapage hystérique sur le soi-disant « danger » de l’islamisme et craché leur haine contre les immigrants, particulièrement les immigrants arabes.
Cette ambiance islamophobe et anti-immigrants qui règne depuis plusieurs années a mené à une hausse des crimes et incidents haineux, au Québec comme dans le reste du Canada. Les politiciens et médias québécois ayant moussé de façon opportuniste cette atmosphère raciste ont fini par récolter ce qu’ils ont semé lors de l’attentat terroriste contre la mosquée de Québec, qui a fait six morts et 19 blessés. Contrairement à ce que voudraient nous faire croire les commentateurs islamophobes, ce sont les racistes qui représentent la plus grande menace terroriste, de l’aveu des services secrets canadiens eux-mêmes.
Au Québec, cette offensive raciste s’est donné des airs progressistes en se revendiquant de l’héritage de la Révolution tranquille et de sa lutte contre l’Église catholique et pour la laïcité. Elle a pris la forme d’un soi-disant « débat » sur les signes religieux dans l’espace public et chez les employés de l’État – débat qui finissait toujours par porter sur le voile musulman.
Sans que la moindre preuve d’un manque de laïcité de l’État ou d’un lien entre le port du voile et le prosélytisme religieux ne soit jamais avancée en près de 20 ans, la classe politique québécoise a tenté de « régler » ce problème inventé de toutes pièces, d’abord avec la commission Bouchard-Taylor, puis la Charte des valeurs du Québec proposée par le Parti québécois, puis la loi 62 du gouvernement libéral de Philippe Couillard, et finalement la loi 21 de la CAQ.
L’islamophobie était particulièrement utile et a trouvé un terreau fertile dans le contexte de crise généralisée de la société capitaliste qui a suivi la crise économique de 2007-2008. Les politiciens, ne pouvant rien offrir que l’austérité et un recul de leurs conditions de vie aux travailleurs, aux pauvres et à la jeunesse, ont dû trouver un bouc émissaire. La musulmane était la candidate parfaite.
Le « débat » sur les signes religieux a permis à de nombreux politiciens et commentateurs de se faire une carrière en cassant du sucre sur le dos des musulmans et des immigrants. Il a aussi permis aux partis au pouvoir de détourner l’attention des travailleurs du déclin de leurs conditions de vie. François Legault en particulier est passé maître dans l’art de faire oublier ses innombrables bourdes et attaques contre la classe ouvrière et de rallier la « nation » derrière lui dans la défense de « notre » laïcité.
Fausse laïcité
Devant le tollé soulevé la semaine dernière par l’exclusion de Mme Anvari, la cabale habituelle de nationalistes identitaires de Québecor et autour du PQ et de la CAQ s’est portée à la défense de la loi. Comme d’habitude, leur argument repose sur la nécessité de défendre la « laïcité » de l’État et la « neutralité » de l’école.
Frédéric Bastien, ancien candidat à la chefferie du Parti québécois, affirme dans le Journal de Montréal que la « laïcité » (lire : la loi 21) protège la « neutralité » de l’éducation. Se contredisant immédiatement, il admet qu’il ne souhaite pas que l’école soit réellement neutre : « À l’école, on s’éduque, on apprend la langue commune, on assimile l’histoire et les valeurs de la nation. » Il n’y pas de doute que ce nationaliste identitaire souhaite que l’école enseigne ses valeurs à lui.
Le chef actuel du PQ, Paul St-Pierre Plamondon, s’est aussi dit favorable à l’exclusion de l’enseignante. C’est ce même Plamondon qui avait promis de mettre un drapeau dans chaque classe. Visiblement, s’il a un problème avec le prosélytisme religieux à l’école, lui non plus n’en a pas avec le prosélytisme nationaliste.
Pour le ministre Simon Jolin-Barrette, l’exclusion de cette enseignante en raison de son voile s’explique par le fait que « le Québec a fait le choix de la laïcité de l’État ».
En réalité, le Québec n’est aucunement plus laïc depuis l’adoption de la loi 21. Comme nous l’avons déjà dit, rien du tout ne démontrait le moindre problème de manque de neutralité religieuse dans les institutions de l’État dû aux signes religieux des employés.
Par contre, les derniers restants de privilèges religieux demeurant réellement, notamment les subventions aux écoles privées confessionnelles, sont toujours en place. Mais comme ces écoles sont largement catholiques, la CAQ et ses supporters n’en font pas grand cas. Le deux poids, deux mesures des catholaïques comme François Legault s’est exprimé de façon évidente lorsque celui-ci et son parti voulaient garder le crucifix à l’Assemblée nationale. Ce même François Legault avait déclaré, lors d’une visite en Californie, que « tous les Canadiens Français sont catholiques ».
La loi 21 n’a pas non plus mis fin à un autre vrai cas de privilège religieux, c’est-à-dire les exemptions fiscales accordées aux organismes religieux. La ville de Montréal est ainsi privée de 110 millions de dollars de taxes foncières par année en raison des privilèges accordés aux organismes religieux.
Tout cela montre bien que la loi 21 n’a rien à voir avec la laïcité, et que les commentateurs et politiciens qui se portent à la défense de cette loi au nom de la « laïcité » font preuve d’une hypocrisie totale.
Opposition molle
Comme il fallait s’y attendre, la nouvelle de l’exclusion de Mme Anvari a déclenché un tollé au Canada anglais… et quelques grognements de désapprobation gênée chez les politiciens Québécois.
Les libéraux fédéraux de Justin Trudeau ont dénoncé la loi 21. C’est pure hypocrisie, venant du parti responsable d’avoir engagé le Canada dans la guerre d’Afghanistan et d’avoir voté pour le bombardement de la Libye. Les libéraux provinciaux, qui eux aussi ont fait savoir leur désapprobation, n’ont pas non plus de leçon à donner à personne. C’est eux qui dans le précédent gouvernement de Philippe Couillard avaient adopté leur propre loi raciste visant les femmes voilées, la loi 62. De nombreux députés conservateurs à travers le Canada anglais ont eux aussi dénoncé la loi 21, ce qui est absolument risible venant d’un parti de vieux racistes.
Malheureusement, la réponse de la gauche à la décision d’exclure Mme Anvari a été très faible.
Le chef du NPD Jagmeet Singh continue de miser sur une solution passant par les tribunaux, ce qui est à peu près la même position que Justin Trudeau. Ce genre de solution, en plus d’avoir peu de chance de réussir, ne peut que renforcer la position des nationalistes identitaires en contribuant à l’image d’une nation québécoise unie contre le Canada anglais et ses institutions qui tenteraient de nous empêcher d’être laïcs.
Québec solidaire, après avoir mis du temps à réagir, a fini par critiquer la décision. Malheureusement, leur dénonciation a été équivoque. Manon Massé et Gabriel Nadeau-Dubois ont été assez mous et se sont dits « tristes », Massé dénonçant non pas le caractère discriminatoire raciste de la loi… mais le fait qu’elle empire la pénurie d’enseignants. Comme si on en était à une enseignante près! Finalement, après quatre jours, le député Andrés Fontecilla a publié une critique assez juste, dénonçant clairement le caractère discriminatoire et faussement laïque de la loi.
Ce genre d’attitude équivoque dans l’opposition à la loi 21 est typique de la direction de Québec solidaire sur la question des signes religieux, particulièrement dans les dernières années. On se souvient que les membres de la base du parti en 2019 avaient dû se révolter contre la direction pour la forcer à cesser d’adopter une position de compromis sur la question des signes religieux et à se positionner contre toute mesure discriminatoire au nom de la « laïcité ». Les membres de la base s’étaient largement mobilisés pour dénoncer le racisme des politiques comme la loi 21. Malgré cela, les députés solidaires ont continué de tergiverser.
De la même manière, les syndicats, à l’exception de quelques syndicats de l’enseignement, ont été largement muets sur la question de la loi 21.
Il ne fait pas de doute que cette timidité découle de la crainte d’être impopulaire. Selon les sondages, la loi 21 bénéficie d’un appui majoritaire au Québec. Les nationalistes identitaires se servent de ce fort appui pour prétendre qu’elle fait « consensus ». Mais le fait que la gauche a accepté le « débat » sur les signes religieux et se refuse à critiquer de front la loi 21 est justement ce qui renforce sa popularité dans les sondages et donne l’impression d’un consensus. C’est parce qu’une grande partie de la gauche refuse de dénoncer clairement la loi que la CAQ est capable de prétendre avoir toute la « nation » derrière elle. En plus, la droite sait que la gauche est inconfortable à critiquer la loi, et ne manque pas une occasion de l’utiliser pour marquer des points politiques.
Il n’aurait pas fallu attendre que la loi fasse une victime, mais celle-ci doit servir de réveil. Il est grand temps que Québec solidaire et les syndicats montent un mouvement d’opposition contre cette loi. Cela ne peut pas se faire si on se contente de la dénoncer du bout des lèvres, et si on minimise son caractère discriminatoire et islamophobe. Il faut prendre une position courageuse, et démasquer l’écran de fumée qu’a été le débat sur les signes religieux. Il faut dénoncer l’islamophobie et expliquer que les travailleurs et travailleuses de toutes origines n’ont aucun intérêt à cette discrimination. Des manifestations de masse contre la loi et ses effets devraient être organisées par QS et les syndicats, notamment ceux de l’enseignement. C’est seulement par une opposition de classe que nous pourrons vaincre les nationalistes identitaires bourgeois qui divisent pour mieux régner depuis trop longtemps.