Crédit : Tim Hurst/Flickr

Le gouvernement Legault doit rendre sa décision sur le sort de GNL Québec d’ici la fin de l’été. Ce projet de gazoduc et d’usine de liquéfaction, poussé par des capitalistes américains et des barons du pétrole albertains, serait le plus gros projet industriel privé de l’histoire de la province, étant chiffré à 14 milliards de dollars. Suite à une forte opposition de la population et la perte de son investisseur principal, ainsi qu’un rapport du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) dévastateur, le projet bat de l’aile. Mais connaissant la CAQ, on ne peut rejeter la possibilité qu’elle choisisse d’appuyer un projet destructeur de l’environnement pour satisfaire des milliardaires américains.

La route du désastre

Pour celles et ceux qui sont peu familiers avec le projet, résumons les grandes étapes du circuit que traversera le gaz naturel de GNL Québec. 

1) Le gaz naturel de l’ouest canadien sera extrait par fracturation hydraulique – ce qui entraînera la pollution des eaux, la détérioration de la santé des populations à proximité, et générera des tremblements de terre;

2) Il voyagera jusqu’au nord de l’Ontario, puis traversera un gazoduc de 780 km (le projet Gazoduq, prévu pour 2025) jusqu’à la ville de Saguenay – fragmentant au passage l’habitat de 17 espèces vulnérables, menacées ou en voie de disparition, avec risques de générer des explosions avec dommages sur 3,5 km »; 

3) Il sera liquéfié dans un énorme complexe (Énergie Saguenay);

4) Embarquera sur des navires (super-méthaniers) qui voyageront dans le fjord du Saguenay et le fleuve St-Laurent – mettant en péril la survie des bélugas du Saint-Laurent;

5) Et fera le tour du monde pour être vendu en Asie et en Europe – produisant entre 8,5 et 50 millions de tonnes d’équivalent CO₂ par an.

Qui profite?

Le projet de GNL Québec a été initié par deux investisseurs, Jim Breyer et James Illich, chacun fondateur et PDG de multinationales américaines, respectivement Breyer Capital et Freestone International. Breyer a financé des politiciens républicains niant la crise climatique, certains d’entre eux ayant demandé à Donald Trump de se retirer de l’Accord de Paris. Il siège également sur le conseil d’administration d’un fonds d’investissement qui participe à détruire présentement la forêt amazonienne. On comptait également comme important investisseur, jusqu’en février 2020, les fonds Berkshire Hathaway, dont le grand patron, Warren Buffett, est la septième fortune mondiale (valant 101,8 milliards de dollars).

L’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS) a exposé la toile complexe des origines des capitaux de GNL Québec : « On y retrouvait des sociétés établies dans des juridictions reconnues pour offrir des taux d’imposition dérisoires – Hong Kong, Îles Caïmans, Îles Vierges britanniques, etc. Parmi celles-ci, se trouvait la société IDG Energy Investment Ltd. […], cotée à la bourse de Hong Kong et dont l’adresse de juridiction est aux Bermudes. »

Au Canada, ce projet est soutenu par plus d’une vingtaine de villes de la Colombie-Britannique et de l’Alberta, ainsi que par la Chambre de commerce de Dawson Creek, qui ont envoyé une lettre d’appui à GNL Québec. Cette lettre est une « initiative » du maire de Dawson Creek, Dale Bumstead… après qu’il ait été approché par des « acteurs de l’industrie » des deux provinces.

L’exploitation du territoire québécois par GNL Québec profitera donc essentiellement aux barons du pétrole de l’ouest canadien et à des capitalistes américains ayant leurs fonds dans des paradis fiscaux. 

Un des principaux groupes de pression en faveur du projet est le gouvernement Trudeau. Il jubile : « Notre environnement, notre économie et nos portefeuilles pourraient donc bénéficier d’une industrie canadienne du GNL florissante? C’est trop beau! » Retenez-vous M. Trudeau, vous salivez tellement que vous dégoulinez de pétrole.

Voyez-vous, les hydrocarbures albertains étaient le fleuron du Canada. Ils ont permis au pays de mieux résister à la récession mondiale de 2008 que les États-Unis ou l’Europe, notamment. Depuis lors, les États-Unis, grand importateur d’hydrocarbures canadiens (39,4% de notre production), sont devenus plus autonomes en la matière. Le vecteur de prospérité canadienne s’est transformé en son contraire. Le gouvernement fédéral est désespéré de trouver de nouveaux acheteurs pour son sale gaz naturel. « Le Canada poursuit ses efforts pour concrétiser son rêve d’exportation de gaz naturel liquéfié (GNL) vers les marchés internationaux. » En effet, GNL Québec représenterait une augmentation de 27% des exportations canadiennes de gaz naturel.

Pour François Legault, ce projet « prometteur » est censé offrir des retombées économiques pour le Québec. Mais qu’est-ce que la classe ouvrière en tirerait? La compagnie nous promet 6000 emplois sur quatre ans. Or, après la construction des structures, on comptera seulement entre 250 et 300 emplois. D’ailleurs, le BAPE ne pense même pas que le projet sera rentable, considérant que les marchés mondiaux de gaz sont saturés.

Et la cerise sur le gâteau, c’est que GNL Québec demande aux travailleurs québécois de payer! Investissement Québec a déjà accepté de payer 30 millions de dollars pour l’apport en eau potable au complexe de liquéfaction. GNL Québec (GNL USA devrait-on dire) nous demande donc de payer pour le complexe qui détruira nos écosystèmes.

Ainsi, il s’agit essentiellement d’un projet visant à écouler le gaz naturel de l’Alberta, pour le compte de capitalistes américains et des barons du pétrole de l’Ouest. Les travailleurs n’en tireront que des miettes. Il est bien ironique que la CAQ, ce parti nationaliste qui nous vantait les mérites d’acheter local avec son Panier bleu, soit prêt à faire des pieds et des mains pour un projet pourri profitant à des capitalistes étrangers, sur le dos des travailleurs et des écosystèmes de « chez nous ».

Le GNL, écologique?!

L’enjeu principal ayant mobilisé les opposants au projet de GNL Québec est la question écologique. Une lettre publiée dans Le Devoir et signée par 160 scientifiques québécois signalait que le projet « doit être rejeté », car il est « incompatible » avec la lutte contre les changements climatiques et représente « une menace sérieuse » pour la biodiversité.

Les experts du ministère de l’Environnement du Québec affirment que le projet gazier produira 8,5 millions de tonnes d’équivalent CO₂ par année. Cela équivaut à ajouter 3,4 millions de voitures sur les routes, et annulerait en une seule année l’essentiel des réductions d’émissions du Québec depuis 1990. D’autres groupes évaluent plutôt les émissions à plus de 50 millions de tonnes d’équivalent CO₂ par an!

De plus, GNL Québec aurait de graves impacts sur la population de bélugas du Saint-Laurent. Le fjord du Saguenay est fréquenté par 50% des bélugas du Saint-Laurent, déjà en voie de disparition (il reste 880 individus). Les super-méthaniers de GNL Québec, chacun gros comme trois terrains de football, passeraient 320 fois par année. Le bruit sous-marin assourdissant de ces navires pourrait entraîner l’extinction de cette population de bélugas, qui utilisent le son pour se nourrir, communiquer et éviter les dangers.

GNL Québec défend l’idée que le gaz naturel serait un produit écologique : « La pertinence du gaz naturel dans la transition énergétique a été prouvée [sic] à maintes reprises », puisque le gaz naturel liquéfié est moins polluant que d’autres hydrocarbures et que le « GNL se substituerait à des sources d’énergie plus polluantes en Asie et en Europe ». Et donc, produire 11 millions de tonnes de GNL supplémentaires par année, et l’exporter à l’autre bout de la planète, serait une avancée dans la « lutte aux changements climatiques »!

Le rapport d’enquête du BAPE démonte l’argumentaire boiteux de GNL Québec. Il dément l’idée que la production de GNL supplémentaire aiderait à réduire la dépendance d’autres pays à des hydrocarbures plus polluants. En réalité, le projet « aurait pour conséquence de verrouiller les choix énergétiques des pays clients et, conséquemment, les émissions de GES associées à la combustion du gaz naturel qui y serait livré». Le projet impliquerait un « ajout net d’émissions de GES [gaz à effets de serre] ». Ainsi, GNL Québec serait « un frein à la transition énergétique sur les marchés visés par le projet ».

Le bateau coule

En février 2020, le projet de GNL Québec a subi un coup énorme : son principal investisseur, le fonds Berkshire Hathaway de Warren Buffett, s’est retiré du projet. Quatre milliards de dollars ont été perdus sur les 14 milliards nécessaires à l’implantation du projet. Dans un geste désespéré, une dizaine d’hommes d’affaires du Saguenay ont cotisé deux millions de dollars dans le projet pour démontrer aux investisseurs américains leur intérêt, un montant qu’un des investisseurs a qualifié à juste titre de « peanuts ».

Le retrait de Warren Buffett du projet s’explique en raison du mouvement de solidarité avec les Wet’suwet’en, où des chemins de fer ont été bloqués en Colombie-Britannique, en Alberta, au Manitoba, en Ontario et au Québec. On comprend que le milliardaire ne tenait pas à se retrouver plongé dans un conflit impliquant les Autochtones. En effet, le gazoduc aurait traversé plusieurs communautés autochtones – Wahgoshig, Abitibiwinni, Lac Simon, Opitciwan, Wemotaci, Pekuakamiulnuatsh, Essipit et Pessamit. 

Les communautés sont partagées sur la question de GNL Québec : plusieurs conseils de bande ont choisi de ne pas prendre position, d’autres sont vivement opposés, comme Adrienne Jérôme, la cheffe du Conseil de la Nation Anishnabe de Lac Simon, qui disait : « Il n’est pas question que le pipeline passe chez nous. Il y a beau avoir des milliards d’investissements, il passera ailleurs. Il y a des limites à vouloir nous acheter avec de l’argent. Notre terre n’a pas de prix. »

L’opposition au projet de GNL Québec a pris une grande ampleur. La majorité des Québécois s’opposent au projet (52% contre, 27% en faveur). Il y a eu neuf manifestations au Saguenay-Lac-Saint-Jean, sur la Côte-Nord et en Abitibi-Témiscamingue. Une pétition a récolté 121 000 signatures. 648 scientifiques se sont positionnés contre le projet, ainsi que 56 associations étudiantes représentant plus de 350 000 étudiants, et une ribambelle de groupes environnementaux : Coalition Fjord, Équiterre, Greenpeace Canada, Eau Secours, la Fondation David Suzuki, et plus encore. Du côté des partis politiques opposés au projet, on compte Québec solidaire, le Parti québécois et les partis verts du Québec et du Canada. 

Alors que le projet semble couler, les rats ont commencé à quitter le navire. Le Parti libéral du Québec, qui appuyait GNL Québec à l’origine, a changé son fusil d’épaule avant même la sortie du rapport du BAPE… Legault s’est empressé de dénoncer ce changement de position du PLQ, lui rappelant son rôle de parti patronal : « Le Parti libéral a déjà été le parti de l’économie. On a un parti qui est rendu dogmatique et qui prend position avant même l’analyse du BAPE. » Le fait que « le parti de l’économie » capitaliste ait jugé plus profitable pour lui de faire volte-face constitue un bon indice que le projet de GNL Québec risque bel et bien de faire fausse couche.

Mais même après la contestation populaire, le retrait des investissements de Warren Buffett et le rapport dévastateur du BAPE, GNL Québec n’a pas encore été défait. Le gouvernement ne ferme pas la porte. Le ministre de l’Environnement du Québec affirme : « Le rapport du BAPE ne signifie pas pour autant la mort du projet. GNL Québec devra toutefois refaire ses devoirs. »

Il est difficile de prédire si le projet sera approuvé ou non par le gouvernement. Mais  considérant l’enthousiasme prononcé de Legault avant le rapport du BAPE, il n’est pas exclu qu’il aille tout de même de l’avant. On ne peut pas avoir confiance dans la CAQ pour faire le choix sensé entre protéger la planète et garnir de profits les capitalistes, pas plus qu’on ne peut avoir confiance en Trudeau.

Comme Marx le disait si brillamment, « la production capitaliste […] perturbe […] le métabolisme entre l’humain et la terre ». Elle ruine « en même temps les deux sources d’où jaillit toute richesse : la terre et le travailleur » (Le Capital, Livre 1).

Pour éviter les conséquences les plus graves des changements climatiques, il faudra rapidement et considérablement réduire nos émissions de gaz à effet de serre. Cela exigera des investissements massifs dans les énergies vertes. Cet argent existe, mais les capitalistes ne veulent pas l’investir dans les énergies vertes.  Ils considèrent qu’il n’est pas assez profitable d’entamer la transition écologique. Leur message a le mérite d’être clair : il nous faudra renverser le capitalisme pour sauver la planète et renouer, comme le disait Marx, « le métabolisme » entre l’humain et la terre.