Photo : Gabriel Legaré/Wikimedia Commons

En mai dernier, une étude a dévoilé qu’à Rouyn-Noranda, ville où se trouve la Fonderie Horne, le plus grand pollueur au Canada, il y a plus de cancers du poumon que dans le reste du Québec. Le 20 juin dernier, nous avons toutefois appris que la santé publique de l’Abitibi-Témiscamingue connaissait déjà ces faits depuis 2019, mais que le Dr Horacio Arruda, alors conseiller du ministre de la Santé caquiste, avait empêché la publication d’un rapport à cet effet.

Ces données devaient figurer dans le rapport final d’une étude sur l’exposition au plomb, au cadmium et à l’arsenic chez les enfants du quartier Notre-Dame de Rouyn-Noranda, où se trouve la fonderie. Or, selon ce qu’a obtenu Radio-Canada, le Dr Arruda a justifié de retirer ce rapport en affirmant que « si l’arsenic cause des cancers du poumon, les cancers du poumon à Rouyn-Noranda ne peuvent pas être nécessairement attribuables à l’exposition à l’arsenic ». Alors que la CAQ permet à la Fonderie Horne de dépasser des dizaines de fois la norme québécoise d’émission d’arsenic dans l’air, il n’est pas surprenant qu’elle ait voulu cacher les conséquences funestes des activités de l’entreprise. 

Pudding à l’arsenic

Cela fait des années que la situation sanitaire à Rouyn-Noranda inquiète la santé publique et les citoyens de la région, en particulier en ce qui concerne la concentration d’arsenic dans l’air. Depuis 2011, les normes québécoises en matière d’arsenic, ce dangereux cancérigène, en limitent la présence dans l’air à 3 nanogrammes (ng) par mètre cube (m3), ce qui correspond aux normes de l’Organisation mondiale de la santé. Or, la Fonderie Horne, qui opère à Rouyn-Noranda depuis 1927, n’a pas été soumise à cette norme. Sous prétexte que l’entreprise bénéficiait d’un droit acquis et que la norme était trop difficile à atteindre aussi rapidement, le gouvernement du Québec de l’époque lui a fourni une exemption lui permettant d’émettre jusqu’au taux alarmant de 200 ng/m3. En 2017, l’exemption a été maintenue et il a été prévu que l’entreprise réduise ses émissions à 100 ng/m3 à la fin de 2021, soit un taux 33 fois plus élevé que la norme québécoise. 

En plus de l’arsenic, ce sont aussi le cadmium et le plomb émis dans l’air par l’entreprise qui dépassent les taux permis par le gouvernement, ce qui a un effet contaminant sur les sols. En 2020, un rapport de la Direction de la santé publié a montré que 23% des terrains résidentiels de la ville dépassent les limites fixées par le gouvernement pour l’arsenic, le cadmium et le plomb. 

Les résultats de ce pudding toxique dans l’air et sur le sol se perçoivent maintenant clairement. Comparativement au reste du Québec, l’espérance de vie à Rouyn-Noranda est plus basse, les bébés naissent plus petits et les maladies pulmonaires chroniques sont plus nombreuses. En septembre 2019, le rapport de la Direction de la santé publique sur l’exposition au plomb, au cadmium et à l’arsenic a montré que la concentration d’arsenic dans les ongles des jeunes enfants est quatre fois plus élevée à Rouyn-Noranda qu’ailleurs dans la province. Le portrait est alarmant, comme l’a mentionné un conseiller de la santé publique : « Il y a, à long terme, plus de risques de développer un cancer et, à plus court terme, plus de risques de développer des effets neuro-développementaux comme une baisse du QI. » 

À cela s’ajoutent les données sur le cancer du poumon qui viennent d’être révélées, après qu’elles aient été cachées pendant plus de deux ans sous la pression du gouvernement caquiste. Le taux d’incidence du cancer du poumon à Rouyn-Noranda est de 140 sur 10 000 habitants alors que la moyenne provinciale est de 107 sur 10 000 habitants. 

Les données qui ont été compilées dans les dernières années sur la santé des habitants de Rouyn-Noranda ont même poussé en 2019 la Direction de la santé publique de l’Abitibi-Témiscamingue à se dissocier publiquement de la norme que le gouvernement maintenait pour la fonderie. 

La CAQ, avocat du géant pollueur

Malgré les données accablantes, la CAQ joue à l’autruche. En septembre 2019, réagissant à l’alerte lancée par la santé publique, le ministre de l’Environnement Benoit Charette avait affirmé ne pas vouloir imposer des normes plus strictes à Glencore, la multinationale qui opère la fonderie, sous prétexte que l’entreprise « veut faire partie de la solution ». 

Il s’était déresponsabilisé en demandant à la santé publique de fournir des preuves – pourtant déjà existantes – des dangers des émissions de la fonderie : « Ce n’est pas le ministère de l’Environnement qui peut déterminer ce qui est dangereux ou pas pour la population. C’est réellement une mission qui revient à la Santé publique. » Mais il s’avère qu’au même moment, une partie des données que la santé publique devait rendre accessibles ont été bloquées par le ministère de la Santé. Pour le géant Glencore, il est sans doute difficile de trouver meilleur avocat que la CAQ! 

Après cela, il n’est pas surprenant que nous apprenions le mois dernier que le ministère de l’Environnement n’a toujours pas de plan de réhabilitation des sols contaminés à Rouyn-Noranda et n’a même pas entamé d’étude à cet effet, malgré la forte recommandation de la santé publique il y a quelques mois. Rien d’étonnant non plus dans le fait qu’un rapport interministériel déposé par la CAQ en mars 2021 soutient le plan vague et non contraignant de Glencore pour diminuer ses émissions d’arsenic sur un délai de… 15 ans! 

Cherchant à calmer le jeu sur cette affaire, le gouvernement a choisi de donner 6,5 millions de dollars d’argent public pour aider à réparer les dommages de l’entreprise. Le ministre Charette a justifié le fait que ce ne soit pas la multinationale elle-même qui paie : « C’est naturel, dans les circonstances, que plusieurs parties prenantes soient mises à profit. » Pour un gouvernement à la solde du patronat, c’est certes tout à fait naturel de faire payer la population pour maintenir les profits d’une grande entreprise. 

Dans la foulée des récentes révélations concernant les documents cachés par le ministère de la Santé, le ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon – soudainement devenu expert environnemental, nous a rassuré que Glencore avait un bon plan pour réduire ses émissions et que la CAQ allait soutenir financièrement la multinationale : « Moi, j’ai ouvert la porte carrément, si vous avez un projet qui va permettre de respecter les normes environnementales, ça, c’est non négociable, on devrait être là pour vous aider, car je pense que c’est un projet important pour la région de Rouyn-Noranda. » Quand on sait qu’en avril dernier, la CAQ a promis 1,34 milliard de dollars d’argent public aux grandes entreprises polluantes sous prétexte de subventionner la transition écologique, il n’est pas difficile d’y voir là un autre cadeau à un gros pollueur. 

Depuis qu’elle est au pouvoir, non seulement la CAQ n’a imposé aucune contrainte pour que la multinationale se conforme à la norme de concentration d’arsenic de 3 ng/m3 , mais elle se porte toujours à la défense de la multinationale. Questionné le 12 juin dernier à l’Assemblée nationale par la députée de Québec solidaire de Rouyn-Noranda–Témiscamingue Émilise Lessard-Therrien sur le fait que la CAQ n’exige pas que Glencore atteigne cette norme, le ministre de l’Environnement Benoit Charette a répondu : « Si [la députée] exige le 3 ng, elle exige la fermeture de l’entreprise. Est-ce que c’est ce qu’elle souhaite pour sa région? » Il a même ajouté : « Et même si l’entreprise fermait ses portes aujourd’hui, les experts s’entendent pour dire que ça prendrait des décennies à ce que le 3 ng puisse être atteint. » Autrement dit : comme Glencore a déjà fait des dommages catastrophiques, aussi bien la laisser continuer de tuer la population locale à petit feu! 

Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que la CAQ choisit de laisser une grosse entreprise empoisonner la population. En décembre dernier, elle a quintuplé la norme acceptable de concentration dans l’air de nickel, sans se préoccuper le moindrement des graves dangers pour la santé de la population. Cela a fait plaisir aux compagnies minières, qui font pression sur le gouvernement québécois depuis des années. D’ailleurs, la même Glencore fait aussi du lobbyisme auprès de Québec sur la question du nickel aussi, avec une armée de 23 lobbyistes. C’est sûrement de cela que parle la CAQ lorsqu’elle affirme que Glencore « s’est toujours montrée très collaborative »! Mais ce bon citoyen corporatif, protégé de la CAQ, vient pourtant tout juste de claquer la porte d’un comité de santé publique qui étudie l’impact de ses émissions d’arsenic à Rouyn-Noranda. Belle collaboration!

La tumeur capitaliste

Si la Fonderie Horne est l’installation la plus polluante au Canada, deux autres usines de Glencore se situent en deuxième et troisième place de ce palmarès. Parmi ses nombreuses usines, l’entreprise possède notamment CCR, une affinerie de cuivre de l’est de Montréal, dont le taux d’émission d’arsenic a aussi dépassé la norme du Québec. 

Mais ce n’est pas que sur le plan sanitaire et environnemental que Glencore fait des ravages. L’entreprise vient tout juste d’être reconnue responsable par le Tribunal administratif du travail pour avoir entravé des activités syndicales. Glencore a voulu faire pression sur un syndicat en fermant une partie de la mine Raglan au Nunavik en 2021 et en renvoyant les travailleurs concernés. En outre, au cours des dernières années seulement, la multinationale a été condamnée dans différents pays pour des accusations importantes de corruption et de fraude, notamment dans certains pays africains, et d’autres cas sont toujours en cours pour des accusations similaires. 

Mais cela n’arrête pas Glencore de faire des profits monstres. Profitant de la flambée des prix des matières premières dans le contexte de la guerre impérialiste en Ukraine, la compagnie prévoit, pour la première moitié de 2022 seulement, des profits de 3,2 milliards. C’est pratiquement autant que les 3,7 milliards de profits records qu’elle a faits pour l’année 2021 au complet. 

Le cas de Glencore illustre bien la réalité du capitalisme. Les grands capitalistes peuvent exploiter sans pitié les travailleurs, piller les ressources, polluer l’air et empoisonner la population; le tout avec la gracieuse aide des gouvernements capitalistes. Et plus elles le font, plus elles font de profits, ce qui leur permet en retour de gagner encore plus d’influence sur les gouvernements et avoir encore plus de passe-droits. Ce cercle vicieux nous amène au scénario où David est maintenant complètement étranglé par Goliath. Mais combien d’habitants de Rouyn-Noranda et d’ailleurs devront mourir du cancer à cause de la logique assassine du profit? 

La vie humaine n’est pas une priorité sous le système capitaliste. Il est urgent que nous luttions pour exproprier les grandes entreprises parasitaires, et ainsi construire une société socialiste où la production est dictée par la majorité et pour nos besoins, et non par une minorité toute puissante pour ses intérêts privés. 

Si le capitalisme est le cancer, le socialisme en est la cure.