Samedi le 25 novembre dernier, la ville de Québec a encore été le théâtre d’une manifestation où l’extrême droite et les fascistes nous ont montré leur hideux visage. Les groupes La Meute et Storm Alliance avaient uni leurs forces pour cracher leur poison, et ont été rejoints par les néo-fascistes de Atalante Québec et des III %. Mais non seulement ces groupes ont-ils pu parader librement et diffuser leurs discours haineux, ils l’ont fait avec la complicité ouverte de la police de Québec.
Un front uni
Alors que se déroulait le Congrès du Parti libéral du Québec, les groupes d’extrême droite avaient uni leurs forces pour dénoncer le gouvernement Couillard. Une centaine de manifestants du groupe d’extrême droite Storm Alliance ont pris la rue, suivis par environ 200 manifestants de La Meute situés à environ 200 mètres d’eux. Les manifestants de Storm Alliance chantaient des slogans comme « Couillard dehors » et « Liberté », et entonnaient La Marseillaise. Les membres de La Meute, de leur côté, avaient insisté pour avoir leur contingent séparé. Ils étaient présents afin de dénoncer la défunte consultation sur le racisme systémique et exiger l’interdiction complète de la burqa et du niqab dans tout lieu public au Québec. Les deux groupes avaient leur propre service de sécurité pour l’occasion.
Pendant que les deux groupes marchaient, le groupe Atalante Québec se faisait voir du haut des remparts de Québec. Une quarantaine d’entre eux étaient réunis avec leurs drapeaux noirs et leurs drapeaux du Québec, et ont affiché une énorme bannière pouvant lire « Le Québec aux Québécois! » Ils ont par la suite rejoint les manifestants de La Meute et Storm Alliance devant le Parlement de Québec.
Si La Meute et Storm Alliance tentent de cacher leur discours d’extrême droite derrière un mince voile de respectabilité, on ne peut en dire autant de Atalante. Ce groupe néo-fasciste se décrit comme un « mouvement nationaliste révolutionnaire et identitaire » qui souhaite « créer la nouvelle aristocratie guerrière de demain ».
Mais leur présence au sein du rassemblement n’a pas semblé poser problème. Le président de Storm Alliance, Dave Tregget l’a clairement expliqué : « Aux dernières nouvelles, est-ce qu’Atalante a commis des crimes ? Est-ce qu’ils ont fait quelque chose de grave ? (…) Ils ont une idéologie différente. Une des valeurs qu’on défend, à Storm Alliance, c’est la liberté d’expression. Je ne défends pas Atalante, je ne les dénonce pas non plus. Ils ont suivi les règles. » Dave Tregget semble oublier, ou passer sous silence, le fait qu’Atalante a reconnu que certains de ses membres avaient attaqué des militants d’extrême gauche par le passé. Storm Alliance aura beau nier ses liens avec les groupes fascistes, ces liens étaient clairs pour tout le monde le 25 novembre. Cela doit servir d’avertissement pour la gauche et le mouvement ouvrier.
La police aide l’extrême droite
En plus de compter sur leur propre service de sécurité, les manifestants de La Meute et Storm Alliance ont reçu l’aide de la police de Québec. La manifestation de l’extrême droite était attendue de pied ferme par environ 250 contre-manifestants anti-racistes. La police a clairement montré de quel côté elle était, et n’a laissé aucune chance aux contre-manifestants : elle en a arrêté 44, soit environ 20 % des participants! Une première vague d’arrestations a eu lieu sous prétexte que le groupe « s’apprêtait à joindre une manifestation et était sur le point de commettre des infractions criminelles », et des armes blanches auraient été saisies.
Pourtant, des membres de III %, une milice d’extrême droite ayant des cellules aux États-Unis et au Canada, ont été également aperçus à la manifestation, bâtons télescopiques en main. La police ne semble pas avoir cru bon de les arrêter, eux.
La police n’a pas caché sa collaboration avec l’extrême droite, comme l’explique le chef de la police de Québec : « Ils (La Meute) nous mentionnaient leurs intentions, où est-ce qu’ils voulaient aller, leur trajet, on a eu des échanges régulièrement et c’est souvent ce qu’on fait avec nos différents groupes de manifestants ». Ces échanges ont sans doute été facilités par le fait que Jacques Gagné, chef de la sécurité pour La Meute, est également ancien policier de la Ville de Québec.
Tandis que des relations amicales se développaient avec La Meute, les contre-manifestants subissaient la charge de l’anti-émeute. Luc Archambault décrit son arrestation et celle d’une femme qui était avec lui, eux qui n’étaient même pas venus pour la contre-manifestation. « Au bout de trois minutes, j’ai vu débarquer, du côté de la Grande Allée, les antiémeutes, qui se sont mis à renverser les manifestants paisibles qui étaient là. Je ne savais pas quoi faire. Ils ont arrêté Gisèle, une femme de 65 ans qui est avec nous. Ils lui ont mis les menottes dans le dos et l’ont jetée par terre, dans la gadoue », a-t-il raconté.
Ces doubles standards dégoûtants révèlent le rôle de la police dans la lutte contre le fascisme et l’extrême droite, ainsi que son rôle de répression de la gauche en général. La police n’est pas de notre côté : sous couvert de défendre le droit de ces groupes à s’exprimer, elle leur sert de garde du corps, et en profite pour terroriser les manifestants de gauche.
Le silence de l’establishment
La CAQ et le PQ se sont bien gardés de commenter la manifestation de samedi. De leurs côtés, les libéraux ont affirmé ne pas vouloir donner plus d’attention qu’il ne le fallait à ces groupes.
Malgré cela, les libéraux ont pris le temps de saluer le rôle de la police lors de la manifestation. Le ministre de la Sécurité publique, Martin Coiteux, a affirmé : « Les forces de l’ordre font le travail qu’elles doivent faire. Je pense que vous avez bien constaté une chose aujourd’hui : elles sont bien déployées, elles assurent la sécurité des personnes. Elles font un excellent travail et je les félicite ». Il s’est permis d’ajouter : « Peu importe les idées, ce qui est important, c’est de les défendre de manière pacifique et dans le respect des personnes et des lois. S’il y a eu des arrestations, c’est qu’il y a des gens qui n’ont pas manifesté pacifiquement ». C’est là le même argument utilisé par Storm Alliance pour excuser l’accueil donné aux militants d’Atalante lorsqu’ils se sont joints à leur contingent! Cela contraste également avec le discours que tenait Philippe Couillard lors de la précédente manifestation de La Meute, où il avait dit : « Dans ce conflit-là, où dans cet affrontement [entre] les gens qui prônent subtilement ou non le racisme et la xénophobie, et ceux qui [s’y] opposent (…), il faut choisir son camp. J’ai choisi le mien, c’est celui de m’opposer au racisme et à la xénophobie. » L’hypocrisie des libéraux ne connaît vraiment aucune limites.
Une chose est opportunément passée sous silence depuis que La Meute et Storm Alliance sont devenus plus bruyants au cours des derniers mois. La tuerie de Québec de janvier dernier, où six musulmans ont été abattus, avait été commise par un terroriste d’extrême droite inspiré par des idées similaires à ces groupes. L’establishment et la police protègent ouvertement ceux qui ont inspiré cet attentat.
Le complicité de l’establishment ne doit pas nous surprendre. Nous ne pouvons avoir aucune confiance dans les partis bourgeois pour lutter contre l’extrême droite. Ce sont ces mêmes partis qui attisent l’islamophobie et la xénophobie depuis des années, l’exemple le plus récent étant bien sûr le projet de loi 62 des libéraux. Le discours xénophobe respectable des grands partis permet de légitimer et normaliser les idées des groupuscules d’extrême droite.
Mobilisons-nous en masse contre l’extrême droite!
Selon les dires des autorités, il semble encore une fois que les contre-manifestants étaient moins nombreux que les manifestants de l’extrême droite. Cela est déplorable, d’autant plus que, depuis la manifestation de Charlottesville l’été dernier, presque la totalité des manifestations de l’extrême droite en Amérique du Nord ont été submergées par une contre-manifestation beaucoup plus grande. Comment expliquer cela?
Nous avons déjà expliqué que ce qui peut faire taire les fascistes et leurs amis, c’est un mouvement capable d’entraîner en masse les travailleurs et les jeunes. Ce sont avant tout les syndicats qui possèdent les ressources et la capacité de mobilisation permettant d’organiser la résistance aux groupes comme La Meute, Storm Alliance et Atalante. Nous l’avons vu cet été, par exemple, quand les dockers de San Francisco ont menacé de déclencher une grève pour empêcher la tenue d’une manifestation d’extrême droite. Les principales organisations de gauche, notamment Québec solidaire, ont également une grande responsabilité dans cette lutte.
Jusqu’à maintenant, beaucoup de voix se sont élevées à propos du fait que les groupes d’extrême droite ont pris confiance en eux. Jacques Létourneau, de la CSN, a parlé de la nécessité pour le mouvement syndical de lutter contre la haine et l’intolérance. De même, Manon Massé, de Québec solidaire, a affirmé lors du Congrès du parti en fin de semaine dernière que celui-ci ne « céderait pas un pouce » à La Meute et Atalante. Mais malheureusement, très peu a été fait pour passer de la parole aux actes. Également, pas un mot n’a été dit par la direction de QS ou des syndicats sur la collaboration ouverte de la police avec l’extrême droite lors de la manifestation. Le mouvement ouvrier organisé brillait par son absence lors de la contre-manifestation.
Le chef de La Meute, Sylvain Brouillette, a parlé de la manifestation comme d’un « grand succès ». Il suffit cependant de contraster la manifestation antiraciste du 12 novembre dernier, ayant attiré plusieurs milliers de personnes, au maigre contingent de l’extrême droite le 25 novembre, pour voir que le rapport de force est clairement en notre faveur.
Mais cela ne veut pas dire qu’il faut laisser l’extrême droite et les fascistes manifester sans rien faire. Ces groupes ne vont pas quitter la scène d’eux-mêmes. On parle ici de groupes qui ont attaqué des militants de gauche par le passé, et de leurs amis qui les couvrent d’un voile de respectabilité. Les courageux militants antiracistes qui étaient présents le 25 novembre ne pourront pas vaincre l’extrême droite à eux seuls. Les organisations ouvrières ont la responsabilité de mobiliser leurs membres pour stopper l’extrême droite. Québec solidaire devrait également en appeler à la mobilisation de masse contre cette racaille. Nous avons le devoir d’organiser des manifestations de masse chaque fois qu’ils essaient de prendre la rue.
Nous sommes dans une période où tous les grands partis utilisent le racisme et l’islamophobie pour détourner notre attention de leurs politiques d’austérité et anti-ouvrières, et entraînent par le fait même la montée en confiance des groupes d’extrême droite. Le racisme est un outil de la classe dirigeante dans sa lutte pour diviser la classe ouvrière : nous devons résister à ces tentatives de nous diviser! Cela implique de lier la lutte contre les groupuscules comme La Meute et Storm Alliance à une lutte plus large contre les partis de l’establishment et le système capitaliste qu’ils protègent. Comme l’a si bien dit le célèbre militant contre le racisme Malcolm X, « on ne peut avoir de capitalisme sans racisme ». La lutte contre le racisme doit donc être une lutte pour se débarrasser du capitalisme lui-même!