Le 20 août 1940, un agent de Staline assassinait lâchement le révolutionnaire russe Léon Trotsky, à Mexico. Celui-ci travaillait justement, à l’époque, sur la deuxième partie d’une longue biographie de Staline. Depuis, toutes les éditions parues de ce chef d’œuvre inachevé furent très insatisfaisantes, comme nous l’expliquons plus loin. Aussi la Tendance marxiste internationale (TMI) est-elle fière d’annoncer qu’elle vient de publier la version de Staline la plus complète et la plus fidèle aux intentions politiques de son auteur.

 

Chef de la bureaucratie soviétique

Le rôle de l’individu dans l’histoire est un sujet d’étude inépuisable. Comment Staline, qui fut à ses débuts un révolutionnaire, un bolchévique, est-il devenu un tyran sanguinaire ? Etait-ce dû à son enfance ? De fait, certains éléments de son vécu peuvent expliquer des tendances à la cruauté ou au sadisme, par exemple. Mais il n’y a là rien qui puisse répondre définitivement à la question. Tous les enfants battus ne deviennent pas des dictateurs.

Pour qu’une telle transformation se produise, il faut un contexte historique exceptionnel – en l’occurrence, le reflux du mouvement révolutionnaire, après la révolution russe. L’épuisement des masses – éreintées par la guerre, puis la révolution et la guerre civile – et l’isolement de cette révolution, dans un contexte de pauvreté et d’arriération extrêmes, menèrent à l’essor d’une bureaucratie privilégiée. Cette bureaucratie avait besoin d’un dirigeant, issu du bolchevisme, qui légitimerait sa domination et défendrait ses intérêts. Elle trouva cet homme en Joseph Djougachvili, alias Staline.

A priori, Staline ne représentait pas le meilleur choix pour assumer l’héritage de Lénine, mort en 1924. Suspicieux et violent, relativement ignorant, ses principaux talents consistaient dans la recherche et la captation du pouvoir. Il était l’« apparatchik » typique, à l’image de ceux dont il défendra les intérêts. Les autres dirigeants bolchéviques avaient voyagé, connaissaient bien le mouvement ouvrier international et parlaient plusieurs langues. Mais comme l’explique Trotsky dans Staline, une phase contre-révolutionnaire ne requiert pas ce type d’hommes ; elle requiert des conformistes et des opportunistes, des esprits étroits, à leur aise dans un contexte de reflux et de démoralisation.

Dans ces circonstances, Staline était le candidat idéal de la bureaucratie soviétique. Ses aptitudes, bien réelles au demeurant (volonté de fer, détermination, grand talent pour manipuler, manœuvrer et intriguer) lui permirent de surclasser tous ses concurrents.

La personnalité de Staline

L’explication de grands évènements historiques par l’action de quelques individus n’est pas scientifique. Le matérialisme historique s’attache à comprendre l’histoire à travers le développement des forces productives et la lutte des classes. Mais il ne nie pas pour autant le rôle des individus dans l’histoire ; c’est même seulement à travers leurs actions qu’on peut décrire les processus historiques.

Est-ce la personnalité de Staline qui a déterminé le destin de l’URSS ? Evidemment pas. La défaite des révolutions européennes, dans la foulée d’octobre 1917, a condamné à la dégénérescence la démocratie ouvrière instaurée par la Révolution russe. Dans ce contexte, l’essor de la bureaucratie était inévitable. C’est seulement dans la nature particulièrement violente et cruelle du régime que l’on pourra trouver l’apport de la personnalité de Staline, de son caractère et de ses traits psychologiques propres.

L’« objectivité » de l’historien

Staline est une fascinante étude sur la manière dont les traits particuliers d’un individu interagissent avec les grands évènements historiques. Mais dès lors, certains critiquent cette œuvre en expliquant qu’elle fut motivée par la volonté de Trotsky de discréditer son « ennemi intime ». Au minimum, ils affirment qu’elle ne pouvait pas être « objective », du fait de facteurs personnels ou psychologiques. Trotsky avait anticipé ces critiques et y avait répondu d’avance :

« La position que j’occupe maintenant est unique. Je pense donc pouvoir légitimement affirmer que je n’ai jamais nourri un sentiment de haine à l’égard de Staline. Dans certains cercles, beaucoup est dit et écrit sur ma soi-disant haine envers Staline, qui m’emplirait apparemment de sentiments sombres et troublerait mon jugement. Je ne peux que hausser les épaules en réponse à tout cela. Nos chemins se sont séparés si loin dans le passé que, quelles que soient les relations personnelles qu’il y ait eu entre nous, cela fait bien longtemps qu’elles sont totalement éteintes. Pour ma part, et dans la mesure où je ne suis que l’instrument de forces historiques qui me sont étrangères et hostiles, mon sentiment personnel à l’égard de Staline est semblable en tout point à celui que j’ai envers Hitler ou le Mikado japonais. » (Staline, nouvelle édition, Chapitre 14 : La réaction thermidorienne ; section La revanche de l’Histoire.)

Les historiens académiques on beau se draper dans leur soi-disant impartialité, il n’empêche que tout historien adopte forcément un point de vue de classe particulier. C’est évident dans le cas de la révolution russe, comme le démontre le flot ininterrompu de livres « savants » qui, chaque année, viennent nous expliquer, « preuves » à l’appui, que Lénine et Trotsky n’étaient que des monstres assoiffés de sang et que les seuls accomplissements de l’URSS sont le KGB et les goulags. Il n’est pas difficile de dévoiler, derrière cette « impartialité », un anticommunisme primaire. La démarche de Trostky, par contre, est celle d’un marxiste et d’un révolutionnaire :

« Aux yeux d’un philistin, un point de vue révolutionnaire équivaut virtuellement à une absence d’objectivité scientifique. Nous pensons exactement le contraire : seul un révolutionnaire – muni évidemment de la méthode scientifique – peut mettre à nu la dynamique objective de la révolution. De façon générale, l’appréhension de la réalité n’est pas d’ordre contemplatif, mais actif. L’élément volontaire est indispensable pour pénétrer les secrets de la nature et de la société. Exactement comme un chirurgien, du scalpel de qui dépend la vie humaine, distingue avec un soin extrême les différents tissus d’un organisme, de même un révolutionnaire, s’il aborde ses tâches avec une attitude sérieuse, est obligé d’analyser consciencieusement et strictement la structure de la société, ses fonctions et ses réflexes» (Préface à La tragédie de la révolution chinoise d’Harold Issacs, Trotsky, 1938)

Notre édition

Du fait de l’assassinat de Trotsky, personne ne pourra jamais prétendre publier la version définitive de Staline. Mais nous pouvons affirmer que nous proposons aujourd’hui la version la plus complète jamais publiée. Les précédentes éditions – toutes langues confondues – comportaient deux types de défauts : 1) elles avaient exclu, sans raison valable, une grande quantité du matériel rédigé par Trotsky, que nous avons intégré à notre édition ; 2) la version anglaise (entre autres) comportait de longues « insertions » rédigées par le traducteur et, souvent, en complète contradiction avec les idées de Trotsky [1]. Nous avons écarté la plupart de ces passages.

Pour aboutir au meilleur résultat possible, nous avons comparé les traductions des différentes éditions existantes et travaillé à partir de toutes les archives de Trotsky disponibles en anglais et en russe. Notre édition compte 86 000 mots de plus que l’édition anglaise précédente, soit 30 % de texte en plus. Mais c’est surtout dans la deuxième partie qu’il y a le plus de différences : notre édition augmente la quantité de texte de 90 %, dans cette partie.

Nous ne prétendons pas avoir fait un aussi bon travail que Trosky l’aurait fait lui-même, s’il l’avait pu. Mais nous ressentions comme notre devoir historique de mettre à disposition des lecteurs des matériaux politiques inédits et d’un très grand intérêt. Comme pour les derniers écrits de Marx, Engels et Lénine, les derniers écrits de Trotsky sont d’une qualité exceptionnelle ; ils sont le produit d’un esprit mature et riche de l’expérience de toute une vie.

Il s’agit maintenant de mettre cet ouvrage à la disposition du plus grand nombre. Vous pouvez dès à présent commander notre édition anglaise sur wellredbooks.net. Une édition en espagnol sera disponible très prochainement. Nous avons engagé les démarches pour aboutir, dès que possible, à une version française. Ce sera une étape importante dans la défense des idées authentiques du marxisme.


[1] Scandalisée par ces « insertions », Natalia Sedova, la veuve de Trotsky, a tenté d’empêcher – par voie judiciaire – la publication de l’édition anglaise de Staline. En vain.