La Banque du Canada a maintenant reconnu que l’économie canadienne s’est probablement contractée de 0,6% de janvier à mars, et de 0,5% d’avril à juin. Avec cela, elle rejoint un chœur d’analystes du secteur privé en reconnaissant ce qui semblait impensable encore récemment – le Canada, pour la première fois depuis la débâcle financière de 2008-2009, est entré en récession. Ceci est loin de la prévision de janvier de la Banque du Canada, qui prédisait que la croissance devrait atteindre 1,5% dans la première moitié de 2015 et 2,1% pour l’année. Ce dernier chiffre a été réduit à un taux de croissance encore plus maigre de 1% pour l’ensemble de 2015. En janvier, elle a fait valoir que «les conséquences négatives du recul des prix du pétrole seront graduellement atténuées par une croissance plus vive de l’économie américaine, un niveau plus faible du dollar canadien et la réaction de la Banque en matière de politique monétaire.» Six mois plus tard, pas une seule de ces prédictions ne s’est trouvée confirmée. En fait, elles se sont toutes révélées incroyablement erronées. Les économistes bourgeois ont démontré encore une fois qu’ils ne voient pas plus loin que le bout de leur nez.

L’arrivée d’une nouvelle récession peut constituer une surprise pour certains économistes, mais pour les millions de travailleurs et travailleuses canadien-nes, cela n’a rien d’étonnant. En effet, pour beaucoup d’entre eux et elles, il est difficile de croire que la première récession ait vraiment eu une fin. En janvier 2014, le Toronto Star écrivait que «en dépit de ce qu’en dit Statistique Canada, un peu plus de la moitié des Canadien-nes croient que le pays est en récession, selon un sondage de perspectives annuelles réalisé par Pollara». Pourtant, l’économie croissait alors à un rythme plus rapide qu’aujourd’hui. Comment le leur reprocher? L’article du Star poursuivait: «L’enquête a révélé que les emplois sont la grande inquiétude. Un niveau record de 34% des Canadien-nes interrogés, soit un peu plus d’un tiers, sont préoccupés par un membre de la famille immédiate qui va perdre son emploi cette année. Ceci représente une hausse de 25% par rapport aux résultats de l’an dernier, et même plus que les 32% enregistrés après la récession de 2008». Les travailleur-euses ne possèdent peut-être pas des méthodes de calculs aussi complexes que les économistes, mais ils ont ce qu’aucune donnée économique ne pourrait jamais saisir avec précision – l’expérience de la vie réelle.

Les marxistes, contrairement à beaucoup d’économistes du courant dominant stupéfaits par la tournure des évènements, n’ont pas été surpris. Année après année, nous avons analysé la base fragile de la soi-disant reprise au Canada et avons souligné le caractère inévitable d’un nouveau ralentissement économique à un moment ou un autre. Dans notre document sur les perspectives politiques pour cette année, dans la section sur l’analyse des caractéristiques sous-jacentes de l’économie canadienne et l’état du marché mondial, nous avions conclu «[qu’] il semble que nous nous apprêtions à entrer dans un nouveau cycle de crise à court terme». Nous avions souligné la crise dans le secteur pétrolier, les niveaux élevés d’endettement des consommateurs, la thésaurisation du capital et la bulle immobilière comme étant tous des indicateurs que les choses n’iraient pas en s’améliorant, mais en s’empirant. Cela signifie que toute analyse sérieuse doit commencer à partir de la compréhension que le capitalisme sera incapable de fournir des améliorations aux travailleurs et travailleuses pendant une période de temps prolongée.

Les causes de la récession

Sans surprise, l’effondrement des cours du pétrole a servi de facteur important dans la récession au Canada. Comme indiqué dans le Globe and Mail:

«Même si les plus grands dégâts provenant de la chute des prix du pétrole ont déjà été absorbés dans la première moitié de l’année, le frein que cela pose sur l’économie du pays est loin d’être enlevé. Les dépenses d’investissement dans l’industrie pétrolière et gazière devraient chuter de 40% cette année. En excluant la construction résidentielle, la formation de capital fixe pour les entreprises au premier trimestre – la principale mesure pour savoir combien les entreprises dépensent sur les installations, équipements et machines – a chuté d’un taux annuel de plus de 17% par rapport au quatrième trimestre, et a été le facteur clé du recul du PIB. Et après que les prix du pétrole aient réussi à se redresser au cours du printemps, ils ont commencé à glisser à nouveau – en baisse de près 10 dollars le baril au cours du mois passé».

Les économistes étaient optimistes que les prix du pétrole connaîtraient une augmentation après leur chute spectaculaire à la fin de 2014. Pour l’instant, cela n’a pas été le cas. En effet, tous les signes pointent vers une diminution du prix du pétrole pour un avenir rapproché. Comme le directeur marchandises chez Goldman Sachs, Jeff Currie, a déclaré: «Je dirais que nous sommes dans une récession qui pourrait prendre cinq ou dix ans» à s’inverser, en raison du fait que les prix du pétrole demeureront bas pour les années à venir.

Le ralentissement persistant de la Chine a affaibli la demande pour le pétrole brut canadien, et le moteur de l’OPEP, l’Arabie Saoudite, n’a montré aucun signe de réduction de la production de sitôt. L’Iran est également réapparu comme un facteur dans la production mondiale de pétrole, en raison de son accord nucléaire historique avec les États-Unis et cinq autres pays. La levée des sanctions contre l’Iran impliquera en retour une augmentation de la production mondiale de pétrole, faisant baisser les prix en conséquence. Un récent article paru dans le National Post prend note de ce fait:

«[…] tôt ou tard, le retour de l’Iran dans la partie ne fera qu’ajouter à un monde nageant déjà dans le pétrole. Le pays possède 10% des réserves mondiales, mais ne représente que 4% de la production, et avec l’ouverture à l’investissement étranger cela va sûrement croître. Et cela ne fera rien pour aider les prix du brut ou pour le secteur canadien de l’énergie à long terme.»

Rien de tout cela n’est de bon augure pour les barons du pétrole à long ou à court terme, ce qui à son tour n’augure rien de bon pour l’économie canadienne dans son ensemble qui est dépendante de cette ressource. S’il y eut un temps où l’économie était gonflée par le secteur pétrolier, ce temps est révolu.

La vraie histoire, cependant, n’est pas celle du pétrole mais du secteur manufacturier. Le secteur non énergétique de l’économie avait été annoncé comme le dernier espoir restant pour une reprise canadienne. La logique fonctionnait comme suit: un effondrement du dollar canadien rendrait les produits manufacturés moins cher à acheter sur le marché mondial. Ceci remonterait hypothétiquement les exportations canadiennes, et donnerait un coup de pouce à l’économie en général. Le président de la Banque du Canada, Stephen Poloz, faisait écho à ces sentiments quand il a dit à la fin de 2014 que «l’économie canadienne montre des signes d’une reprise allant en s’élargissant. Le raffermissement des exportations commence à se refléter dans l’augmentation de l’investissement des entreprises et de l’emploi». Malheureusement pour M. Poloz, c’est exactement le contraire qui est arrivé. Un récent article paru dans le Globe and Mail note comment «les exportations non énergétiques ont chuté au cours de trois des quatre derniers mois. Et pendant ce temps la moyenne mensuelle des volumes d’exportation d’énergie de cette année est en fait plus élevée que l’année dernière, les exportations non énergétiques sont en baisse de près de 2%». En substance, les exportations non énergétiques se sont comportées exactement de la manière opposée à celle que la Banque du Canada prévoyait. La raison en est fort simple: malgré les prévisions d’une croissance rapide aux États-Unis, leur économie s’est effectivement contractée au premier trimestre de 2015, ce qui affaiblit considérablement la demande pour les exportations canadiennes. Les implications de ce déclin se sont avérées beaucoup plus frappantes pour le Canada que ce qui était prévu à l’origine. En mars de cette année, le Canada a atteint son plus grand déficit commercial dans l’histoire – un incroyable 3,5 milliards de dollars. Statistique Canada estime que dans les cinq premiers mois de 2015 seulement, le Canada a accumulé un déficit commercial s’élevant à 13,6 milliards de dollars. Ces chiffres ne sont pas seulement massifs – ils sont historiquement sans précédent. Comme il a été mentionné ci-dessus, les exportations d’énergie ont connu une légère reprise depuis le début de l’année, ce qui signifie que ces chiffres sont en grande partie attribuables aux exportations de produits manufacturés non-énergétiques. Ceci a complètement éliminé tout espoir restant d’une soi-disant «reprise manufacturière».

Une réponse inadéquate

La Banque du Canada a réagi à la récession en abaissant son taux d’intérêt directeur de 0,75 à 0,5%. La dernière fois que le taux d’intérêt était aussi bas fût au plus profond de la Grande Dépression; et il reste la possibilité qu’il puisse encore baisser. Ceci peut seulement être interprété comme du désespoir de la part de la bourgeoisie canadienne, qui a épuisé tous les autres moyens à sa disposition pour relancer le marché. Presque personne, y compris les analystes bourgeois, ne pense que cette relance monétaire légère donnera un véritable essor à l’économie canadienne. Comme l’a dit Charles St-Arnaud, le directeur exécutif du Foreign Exchange Research and Economics, «l’endettement des ménages au Canada est à un niveau extrêmement élevé, donc il n’est pas clair à quel point l’économie pourra être stimulée par une baisse des taux». Le taux d’intérêt a déjà été abaissé en janvier de 1 à 0,75%, sans qu’on ait vraiment pu constater une différence. La baisse des taux n’a pas empêché l’économie de se contracter dans les deux trimestres suivants, et il est très peu probable qu’elle provoquera une croissance significative à l’avenir. Les stimulants monétaires comme mesure de lutte contre la récession ont été plus ou moins épuisé. Les taux d’intérêt mondiaux sont déjà à des niveaux historiquement bas, et il y a peu de place pour les faire baisser davantage.

Le seul résultat qu’un taux d’intérêt plus bas peut donner est un accroissement de la dette des consommateurs déjà à un niveau astronomique. Les grandes banques ont pris exemple sur la Banque du Canada pour réduire leurs propres taux d’intérêt, qui sont aussi à des creux historiques. Comme indiqué dans le National Post, «La Banque Toronto-Dominion fût la première à baisser son taux d’intérêt préférentiel, coupant les 10 points de base à 2,75%. Le mercredi suivant, la Banque Royale du Canada et la Banque de Montréal ont suivi, en réduisant toutes les deux leur taux préférentiel de 15 points de base à 2,7%». Le ratio d’endettement moyen des ménages a atteint 163,3% au premier trimestre de 2015, et fût grandement poussé par la course sans relâche à la baisse dans les taux débiteurs. Cela correspond au ratio qui avait cours aux États-Unis avant que l’effondrement de leur marché de l’habitation déclenche la crise financière. Une autre baisse implique des niveaux plus élevés de prêts à la consommation, et un niveau encore plus élevé de l’insoutenable endettement des ménages. Ceci est d’une importance particulière en ce qui concerne le marché immobilier au Canada. Stephen Poloz lui-même l’a admis : «On notera en particulier les vulnérabilités liées à l’endettement des ménages et la hausse du prix des maisons». Il a également reconnu que la baisse récente des taux d’intérêt «pourrait exacerber ces vulnérabilités». En effet, selon les propres calculs de la Banque du Canada, le marché canadien de l’habitation est surévalué n’importe où de 10 à 30%. Aussi haut que cela soit, ça peut très bien être une sous-estimation. La Deutsche Bank estime que le marché pourrait bien être surévalué jusqu’à 63%, affirmant dans un rapport que «le Canada est en sérieuse difficulté». Quel que soit le chiffre, il n’y a guère de désaccord sur le fait central – que le marché immobilier au Canada est l’un des plus surévalué au monde, et qu’il est insoutenable. La question n’est plus de savoir si oui ou non une bulle existe, mais dans combien de temps elle éclatera.

Les conservateurs tentent de minimiser la récession

Les conservateurs de Stephen Harper ont tenté de minimiser la récession au Canada, inquiets de ce que cela pourrait signifier pour eux à l’élection fédérale. Ceci a parfois signifié nier qu’il y ait même une récession. «Nous ne sommes pas en récession,» a affirmé le ministre des Finances, Joe Oliver, lors d’une manifestation le 3 juillet – alors que déjà la plupart des analystes du secteur privé prévoyaient une récession. Dans l’esprit de Stephen Poloz, il a poursuivi en disant que «nous prévoyons une croissance solide pour l’année, à la suite d’un premier trimestre faible». Les conservateurs se révèlent tellement désespérés pour se maintenir au pouvoir qu’ils sont encore réticents à admettre que leur surplus budgetaire aurait besoin d’être révisé! Pour citer à nouveau M. Oliver : «J’ai bien sûr discuté de ça avec mes fonctionnaires des finances et nous sommes confiants que nous allons voir un excédent de 1,4 milliards de dollars cette année. Nous sommes à l’aise d’affirmer sur la base de nos données que nous atteindrons cet excédent budgétaire». Cet excédent budgétaire était basé non seulement sur un renforcement de l’économie, mais aussi sur une augmentation du prix du pétrole. Aucune de ces choses ne s’est produite en réalité. Ce serait un euphémisme que de dire que ces prédictions relèvent de la fantaisie. Et bien sûr, l’analyse fiscale publiée par le directeur parlementaire du budget le 22 juillet dernier a révélé la fausseté de cette perspective, le gouvernement fédéral étant plutôt en voie d’enregistrer un déficit de 1 milliard de dollars cette année. Ceci en dépit des milliards que le gouvernement fédéral a perçu cette année pour la vente de ses actions dans General Motors.

La crise sans fin du capitalisme

Alors que les commentateurs continuent d’affirmer apercevoir la lumière au bout d’un tunnel pourtant sans fin, la bourgeoisie se fait elle-même beaucoup moins d’illusions. Sa confiance en l’avenir peut être mesurée par sa pingrerie – qui atteint des records. Les compagnies canadiennes sont maintenant assises sur des réserves de liquidités de plus de 600 milliards de dollars – argent qu’elles ne sont pas disposées à investir en raison du climat économique moribond.

L’apathie des entreprises à investir n’est pas seulement un phénomène canadien, mais international. Selon le Fonds monétaire international, les investissements en actifs fixes dans tous les pays industrialisés sont à un niveau 25% plus bas qu’avant que la crise de 2008 ne frappe. Ceci est davantage qu’une simple secousse dans le cycle économique. Cela démontre un manque total de confiance de la bourgeoisie dans son propre système. Les bourgeois ne parlent pas avec des mots, mais avec des investissements – ou l’absence de ceux-ci. Comme le dit le vieil adage: l’argent parle. Et qu’est-ce que leur argent dit? Tout simplement que les choses ne se sont pas améliorées, et que la crise est loin d’être terminée. Voilà la vraie perspective pour l’économie canadienne et mondiale sous le capitalisme.

Après sept années d’austérité, les Canadien-nes ont été récompensé-es pour leurs sacrifices, non pas avec la croissance, mais avec une nouvelle crise. Ceci met un terme au mensonge que les coupures étaient nécessaires afin de « sauver » l’économie. En réalité, la seule chose que l’austérité «a sauvé» étaient les banquiers et les capitalistes qui ont écrasé l’économie en premier lieu – un prix que la classe ouvrière est encore en train de payer. Le capitalisme canadien n’a maintenant plus beaucoup de terrain pour se tenir debout. Le pilier du pétrole s’est déjà effondré, tandis que le pilier de la production manufacturière a du mal à prouver sa propre existence. Le marché immobilier est au bord de l’effondrement, ce qui pourrait entraîner le Canada dans une crise économique plus profonde que celle qu’il connaît actuellement.

Il n’y clairement pas de solution sous le système actuel. Les problèmes qui affectent l’économie canadienne, de l’affaiblissement de la demande au ralentissement de l’investissement, résultent d’une combinaison entre la crise mondiale du capitalisme et les déséquilibres spécifiques au Canada. Voilà pourquoi le Canada est entré en récession avant la majorité des économies capitalistes avancées. Les travailleurs et les travailleuses du monde entier sont maintenant forcés de faire face aux effets d’entraînement sans fin de la Grande Récession – une crise créée par le capitalisme, et que le système, en sept ans, a encore été incapable de résoudre. En réalité, elle ne peut jamais être résolue sous le règne des patrons. Il n’y a aucune raison pour laquelle les travailleurs et les travailleuses devraient avoir une once de foi en eux pour trouver une solution, quand ils détiennent eux-mêmes la clé d’un monde meilleur, un monde socialiste. Les réserves de richesses qui accumulent de la poussière dans les coffres forts pourraient être utilisées pour créer des emplois et financer la satisfaction des besoins des gens, si seulement elles étaient sous leur contrôle et non celui des capitalistes. Une économie rationnelle et démocratiquement planifiée pourrait réaliser ce que le système marchand n’a pas pu faire en 100 ans, et faire en sorte que les récessions ne soient rien d’autres que des souvenirs d’une époque révolue. Un tel monde est non seulement une possibilité, mais une nécessité si nous voulons échapper à jamais à cette crise sans fin. Nous pourrions dire que nos prévisions économiques se lisent comme suit: le capitalisme est à l’agonie, et un monde socialiste se dresse à l’horizon.