Le déclin des libéraux ouvre une nouvelle ère d’instabilité

Le déclin du « parti naturel de gouvernement » représente le dernier souffle d’un statu quo intenable.

  • Joel Bergman
  • mer. 9 oct. 2024
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Image : Révolution communiste

Les libéraux sont embourbés dans une crise. Le parti s’est effondré dans les sondages et a perdu deux élections partielles dans des circonscriptions normalement assurées. Après les « voies ensoleillées » de la Trudeaumanie, la marque libérale est aujourd’hui un repoussoir.

Mais le rejet du parti traditionnel de gouvernement au Canada ne fait que traduire le dégoût croissant pour le statu quo et le rejet de l’establishment. Cette situation ouvre une nouvelle ère d’instabilité, de crise et de polarisation. Le Canada est entré dans la tempête avec le reste du monde.

Retarder l’inévitable

Depuis la crise de 2008, le système capitaliste repose sur des bases fragiles. Alors que les conditions de vie de millions de personnes ont été compromises, l’instabilité politique s’est emparée du monde. Dans un pays après l’autre, la bourgeoisie a peiné à garder le contrôle, alors que les sentiments anti-establishment grandissant ont mené à la montée des populistes de gauche et de droite.

Le Canada n’a jamais été gouverné que par deux partis : les libéraux et les conservateurs. La première manifestation de la crise de la politique canadienne a donc été une menace pour le système bipartite. En 2011, une « vague orange » a porté le NPD au rang d’opposition officielle. Les libéraux ont été relégués à la troisième place pour la première fois de leur histoire.

Mais c’est là que le Canada a divergé du reste du monde.

En 2015, le NPD semblait se diriger vers une victoire historique. Cependant, les dirigeants du NPD ont gaspillé cette occasion en se présentant comme des gestionnaires responsables du capitalisme qui allaient équilibrer le budget. Cela a permis à Trudeau de déborder le NPD sur la gauche et de capter la colère des masses contre les conservateurs de Harper.

Trudeau a obtenu le plus grand nombre de voix jamais enregistré lors d’une élection canadienne, sauvant ainsi les libéraux.

La classe dirigeante canadienne a observé avec inquiétude la propagation du chaos dans des pays normalement vus comme « stables », tels que les États-Unis et la Grande-Bretagne. Les capitalistes ont perdu le contrôle du Parti conservateur et du Parti travailliste en Grande-Bretagne. Trump a pris le contrôle du Parti républicain et est devenu, à la surprise générale, président des États-Unis.

Mais la classe dirigeante au Canada a trouvé un abrirefuge temporaire au cœur dedans la tempête. Au lieu de l’instabilité, nous avons profité (ou souffert) des « voies ensoleillées » de Justin Trudeau et du Parti libéral.

Dès le moment de son élection, Trudeau a mené une politique consciente : donner l’impression qu’il était du côté du peuple. Il est apparu dans de grandes manifestations, prenant des égoportraits. Il a prétendu être féministe et pro-syndicats. Comparé à Boris Johnson ou Donald Trump, Trudeau est devenu le chouchou des progressistes de l’establishment tout autour du monde. Il n’a pas fait tanguer le bateau, il l’a stabilisé, faisant croire à l’establishment libéral que la polarisation et l’instabilité pouvaient être évitées.

Toutefois, il s’agissait d’une illusion, car Trudeau ne faisait que gagner du temps. Au lieu des mesures d’austérité adoptées par les gouvernements du monde entier, Trudeau a enregistré des déficits à chaque année où il a été au pouvoir. La dette fédérale a doublé depuis son arrivée au pouvoir. Il cherchait consciemment à stabiliser l’équilibre social et retarder l’inévitable.

Mais la crise du capitalisme ne peut être balayée d’un revers de main. Et il est maintenant temps de récolter ce qui a été semé.

Les libéraux en crise

Les libéraux ont chuté dans les sondages et sont distancés par les conservateurs de près de 20%. En particulier, la cote d’approbation de Trudeau est passée de près de 70% en 2015-2016 à 30% aujourd’hui, soit moins que celle de Joe Biden. De récents sondages montrent que seuls 14% des gens souhaitent réélire le gouvernement Trudeau.

Et les retombées ont déjà commencé. Au cours des quelques derniers mois, les libéraux ont perdu des élections partielles dans leurs bastions de Toronto-St. Paul’s et de Lasalle-Émard-Verdun. Le chef du NPD, Jagmeet Singh, dans une tentative de se distancer des libéraux détestés, a brusquement annoncé la fin de l’accord visant à soutenir les libéraux.

Le mécontentement à l’égard des libéraux s’est même manifesté au sein du parti. Plus de 50 employés du parti ont boycotté l’élection partielle de Lasalle-Émard-Verdun en raison du soutien continu du gouvernement à l’impérialisme israélien. Et les rats commencent à quitter le navire en perdition. Le lieutenant québécois du parti, Pablo Rodriguez, a démissionné de son poste de ministre des Transports le 19 septembre et siégera en tant qu’indépendant. Seamus O’Regan, ministre du Travail, a quant à lui déclaré qu’il n’avait pas l’intention de se présenter aux prochaines élections. Cela s’est produit après que plusieurs anciens ministres et premiers ministres libéraux aient demandé à Trudeau de démissionner.

Ce phénomène ne se limite pas à l’échelle fédérale. Dans chaque province, le parti libéral est extrêmement impopulaires. Au Québec, ils ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes depuis l’arrivée au pouvoir de la CAQ. En Colombie-Britannique, le parti libéral a été supplanté par le parti conservateur qui est revenu d’entre les morts.

La fin du statu quo

Que le gouvernement libéral parvienne à survivre jusqu’en octobre 2025 ou qu’il soit renversé plus tôt, ses jours sont comptés. Et il ne s’agira pas d’une relève normale de la garde. Le déclin du « parti naturel de gouvernement » représente le dernier souffle d’un statu quo intenable.

Aucune des politiques tant vantées des libéraux et des néo-démocrates n’a résolu les problèmes urgents auxquels sont confrontés les travailleurs. La crise du logement ne peut être résolue sans s’attaquer aux propriétaires et promoteurs parasitaires. Il est impossible de financer correctement les services publics tout en dépensant des milliards pour défendre les intérêts de l’impérialisme canadien. Et il n’est pas possible d’améliorer le niveau de vie des gens ordinaires tout en respectant le droit des milliardaires à réaliser des profits records.

Des millions de travailleurs sont à juste titre en colère et cherchent une solution à leurs problèmes.

Quel que soit le gouvernement qui suivra les libéraux, il sera dans une position bien pire, avec une marge de manœuvre bien plus réduite. Les développements futurs au Canada ressembleront donc davantage à ceux des États-Unis et des pays européens : instabilité, polarisation politique, crise, lutte des classes et révolution.