Le cahier de demandes du Front commun a été déposé et l’offre du gouvernement a été envoyée. Les négociations 2023 du secteur public sont en marche. Pour cette fois-ci, contrairement aux négociations de 2020, un front commun a été formé. Il rassemble la FTQ, la CSN, la CSQ, et même l’APTS, ce qui représente un total de 420 000 travailleurs du secteur public. L’inflation terrible, de 3,4% pour 2021 et 6,8% pour 2022, a particulièrement frappé les travailleurs du secteur public coincés dans des conventions inadéquates, avec des augmentations salariales largement sous l’inflation. Cette fois, la direction syndicale va devoir se battre jusqu’au bout pour mettre fin à l’appauvrissement généralisé des travailleurs québécois.

Le Front commun s’attaque à l’inflation

Les travailleurs du secteur public, en particulier dans la santé et l’éducation, sont au bout du rouleau. Les conditions de travail misérables et les salaires qui stagnent mènent à des départs, qui renforcent la surcharge de travail et l’épuisement dans un cercle vicieux sans fin. La convention collective à rabais de 2020 n’a pas réglé ces problèmes de longue date, rendus pires que jamais. Dans ce contexte, le Front commun a présenté des demandes qui ont pour but de s’attaquer à ces enjeux. La FIQ et la FAE, qui n’ont pas rejoint le Front commun, ont déposé, elles aussi, des demandes comparables.

Pour ce qui est du salaire, particulièrement important dans le présent contexte inflationniste, le front demande une augmentation indexée à l’indice des prix à la consommation. À cela, il joint une augmentation de 9% sur trois ans qui ne serait pas de trop pour compenser les reculs depuis la signature de la dernière convention collective. En effet, les travailleurs ont reçu 6% sur trois ans pour 2020-2023, alors que l’inflation pour la seule année 2022 a été de 6,8%.

Ces demandes peuvent paraître très audacieuses quand on les compare à l’entente acceptée à la fin des dernières négociations, mais en fait il ne s’agit que du strict minimum pour ne pas s’appauvrir encore plus. Les syndiqués du secteur public ne roulent pas sur l’or. Une récente statistique de l’ISQ faisait ressortir que leurs salaires accusent un retard par rapport au secteur privé de 11,9%, et de 3,9% si l’on y inclut les avantages sociaux. Le 9% sur trois ans ne sera pas suffisant pour rattraper les dernières décennies de coupes et d’attaques sur le secteur public. Accepter moins, ce serait accepter l’équivalent d’une coupe de salaire. La direction du Front commun va devoir rester ferme et défendre ses demandes jusqu’au bout.

Legault déclare la guerre

Fidèle à ses habitudes, le gouvernement Legault rit des employés du secteur public qui ont tenu le fort tout au long de la pandémie, en présentant une offre de 9% sur 5 ans. Non seulement cette offre est déjà en dessous de l’inflation habituelle de 2%, mais en plus, avec une inflation qui tourne maintenant autour de 6 ou 7%, c’est une garantie d’appauvrissement du secteur public. 

Pour couronner le tout, le gouvernement pense qu’il peut faire passer la pilule en brandissant cyniquement un montant forfaitaire de 1000 dollars. Le message est clair : Legault déclare la guerre. Le Front commun a bien entendu rejeté unanimement la première offre du gouvernement.

Le comportement du gouvernement Legault ne devrait surprendre personne. D’un point de vue patronal, il est tout à fait conséquent avec les prévisions économiques de Québec pour 2023. La plus récente mise à jour économique du ministre des Finances parle au mieux de stagnation et au pire d’une récession. Le capitalisme est en crise, et le gouvernement ne fera pas de cadeaux; selon la logique du système, il ne peut pas en faire. Le système demande l’austérité, tandis que les travailleurs demandent l’indexation des salaires et un arrêt à leur appauvrissement continu. Les positions sont irréconciliables, et tout pointe vers un grand conflit de classe.

Legault manœuvre

Il ne fait pas de doute que la CAQ ne va pas se laisser faire. Non seulement la menace de récession la force à préparer l’austérité, mais en plus, elle doit faire du Front commun un exemple. Si celui-ci gagne des augmentations de salaire indexées à l’inflation, cela pourrait créer un précédent dangereux pour l’ensemble du patronat québécois, en inspirant d’autres travailleurs dans leurs luttes. Le gouvernement s’attaque au mouvement syndical là où il est le plus grand et fort pour intimider le reste.

Dans ce sens, François Legault cherche déjà activement à discréditer le Front commun en utilisant des mensonges crasses. Dans une publication Facebook récente, il écrit :

« Je pourrais comprendre si au gouvernement on voulait couper dans les salaires ou les conditions de travail des infirmières et des enseignants, mais c’est le contraire : on veut améliorer leurs conditions! »

De plus, le gouvernement, dans une manœuvre fourbe, tente de sortir les négociations des tables de négociations normales en créant des « forums de discussion » centraux, à côté des tables de négociations. L’idée est qu’à la place de tenir une série de tables portant sur les différents enjeux propres aux différents domaines, où les syndicats peuvent obtenir des solutions adaptées, le gouvernement veut pouvoir dissoudre les revendications particulières des syndicats dans un forum centralisé et imposer des conditions en bloc. Dans la même publication, il prétend que les syndicats ne veulent pas dialoguer parce qu’ils ne veulent pas participer à ces forums. 

Ces manœuvres de Legault sont aussi vieilles que le syndicalisme lui-même. Legault tente de préparer l’opinion publique, de monter la population en général contre les syndiqués du secteur public, en leur faisant porter le fardeau des difficultés de négociations. Il n’a pas peur de le faire un utilisant des mensonges, en présentant son offre comme une « amélioration » dont il veut « discuter », quand il s’agit en fait d’une baisse du salaire réel des syndiqués. 

Certains dirigeants syndicaux entretenaient l’idée qu’il serait possible de discuter et de faire entendre raison à la CAQ. Le président de la CSQ, par exemple, souhaitait un « dialogue social » avec le gouvernement caquiste. Nous pensons qu’il serait naïf d’adopter une telle approche. La CAQ n’a pas l’intention de dialoguer gentiment. Quand elle dialogue, c’est pour mentir et offrir l’appauvrissement. Ce n’est pas par des forums bidon, ou simplement par la participation à la table de négociations que la CAQ va plier aux demandes du Front commun. C’est par la pression militante, c’est par la rue, que nous allons pouvoir forcer la CAQ à non seulement se présenter aux tables de négociations, mais en plus à accepter les demandes du Front commun.

Qui veut la paye prépare la grève

Même sans la FIQ et la FAE, déjà, le fait qu’il y ait un front commun est une nette amélioration par rapport aux négociations de 2020. Négocier séparément permet au gouvernement de monter les syndicats les uns contre les autres, en faisant des concessions à certains, pour isoler les autres et profiter de leur faiblesse pour leur imposer de mauvaises conditions. Pour la classe ouvrière, l’unité fait la force. Si personne ne signe tant que tout le monde n’est pas satisfait, le gouvernement ne peut profiter de la faiblesse des plus petits syndicats. 

Toutefois, le simple fait d’avoir formé un front commun ne garantit en rien une victoire. Il ne faut pas remonter très loin dans l’histoire pour s’en rendre compte. Les résultats peu satisfaisants des négociations de 2020 ne peuvent pas s’expliquer seulement par l’absence de front commun pour cette année-là. En 2003, 2010 et 2015, des fronts communs ont été formés, mais ils ont tous éventuellement pliés face à une loi spéciale de retour au travail, ou sinon face à la menace de ce genre de loi, avant de signer des ententes à rabais. Cette fois, il faut prendre tous les moyens nécessaires pour gagner, y compris se préparer à une loi spéciale.

À la fin janvier, le président de l’APTS prévenait que les syndicats sont « absolument » prêts pour la grève, et prêts à se battre jusqu’au bout pour les membres. C’est une bonne nouvelle, parce que c’est précisément ce qu’il faut. Devant l’irréconciliabilité des positions des syndicats et du gouvernement, devant la malhonnêteté du gouvernement, une escalade des moyens de pression menant à la grève doit être mise à l’ordre du jour et planifiée avec la participation démocratique massive des membres. Cela pourrait commencer par une grève de 24 heures de tout le secteur public. Mais connaissant la CAQ, cela ne sera probablement pas suffisant pour la faire plier, et il faudra être prêt à aller plus loin.

Dans le contexte actuel, il n’y a aucune chance que le gouvernement accepte sans résistance une augmentation salariale qui suit le coût de la vie. Il va utiliser tous les moyens à sa disposition pour forcer le Front commun à accepter ses coupes de salaires. Il va utiliser le salissage médiatique, comme il le fait déjà, mais aussi tout l’appareil légal, et sans aucun doute, la menace de lois spéciales. Trop souvent dans l’histoire récente, le mouvement syndical québécois a accepté les lois spéciales ou la simple menace d’une loi. Mais récemment, nous avons vu qu’il est possible de renverser ces lois qui cassent nos grèves.

En effet, à l’automne dernier dans leur lutte contre le gouvernement de Doug Ford, les travailleurs de l’éducation de l’Ontario, organisés dans le CSCSO, ont démontré à l’ensemble du mouvement syndical canadien qu’il est possible de défier une loi spéciale. Le gouvernement avait déposé une loi pour leur interdire de faire la grève. La loi était accompagnée d’une clause nonobstant, ce qui signifiait que le CSCSO n’avait pas l’option de la faire invalider en passant par le lent processus de plusieurs années de contestation devant les tribunaux. Le syndicat a donc dû défier la loi spéciale avec une grève « illégale » de deux jours, et a ensuite brandi la menace d’une grève générale, qui a obtenu un écho à travers le mouvement syndical, non seulement en Ontario mais aussi dans le reste du Canada. Le gouvernement Ford a reculé et retiré sa loi, une première dans l’histoire du Canada. 

En fait, il n’y a pas 36 façons de gagner une lutte syndicale. Même si personne n’aime en arriver là, avec 420 000 travailleurs et travailleuses, le Front commun a le pouvoir de paralyser le Québec par la grève. C’est le seul moyen de pression qui peut permettre de faire les gains attendus depuis longtemps par le secteur public, et de faire reculer le gouvernement Legault sur ses projets d’austérité. Les syndiqués du Front commun, ce sont eux qui tiennent à bout de bras notre système de santé et nos écoles en dépit de tout le sabotage du gouvernement. C’est pourquoi, peu importe les tentatives de salissage de Legault, il n’y a aucun doute que le Front commun serait soutenu largement par la population, pourvu qu’il adopte une approche audacieuse et mène une grève inspirante.

Une victoire du Front commun serait un énorme pas en avant dans la lutte contre le gouvernement de la CAQ, dans la lutte contre la crise inflationniste, et profiterait à l’ensemble de la classe ouvrière québécoise. Il faut se préparer à un potentiel conflit de classe de grande envergure. Si l’on veut gagner la paye, il faut préparer la grève!