Plus de 50 personnes ont assisté à la conférence-discussion du mercredi 16 janvier organisée par la Riposte socialiste de l’UdeM sous le titre « Les leçons du mouvement des gilets jaunes ». Pour les marxistes, les luttes d’ailleurs doivent être étudiées afin d’éclairer et d’inspirer notre action ici. Le nombre impressionnant de participants à cet événement témoigne de l’énorme intérêt suscité ici aussi par ce mouvement au potentiel révolutionnaire immense.

Le conférencier, notre camarade Julien Arseneau, a commencé par mettre les événements en contexte. Il a rappelé que l’année qui vient de s’écouler était le 10e anniversaire de la grande crise économique de 2008. À l’époque, des milliards de dollars provenant des fonds publics ont été donnés par les gouvernements aux banques en difficulté, ce qui a partout fait gonfler les dettes publiques. Cette situation est devenue le prétexte pour une vague d’austérité immense qui a frappé presque tous les pays.

La France n’a bien sûr pas été épargnée. Julien a expliqué que le pays compte sur un État-providence considérable et des lois du travail parmi les plus avantageuses au monde  que les capitalistes veulent attaquer. Emmanuel Macron, depuis son élection en juin 2017, a justement instauré une série de mesures anti-ouvrières afin de rendre la France plus « compétitive » et attirer les entreprises. Il a imposé une réforme du code du travail qui facilite les licenciements et réduit les compensations aux licenciés, aboli un impôt visant les ultrariches (l’ISF), diminué les montants des aides personnalisés au logement, etc. Ces mesures parmi d’autres ont eu un impact rapide : selon l’Institut des politiques publiques, les 1% les plus riches ont gagné 6% de pouvoir d’achat en 2018, tandis que les plus pauvres en ont perdu 1%.

Le mouvement des gilets jaunes correspond en réalité à l’expression d’un sentiment d’injustice face aux conditions de vie qui se dégradent rapidement chez la majorité des travailleurs et des pauvres. C’est une taxe sur le carburant annoncée par Macron cet automne qui a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Mais le mouvement n’est pas le premier à secouer la présidence de Macron. En effet, l’année 2018 a été parsemée de mouvements de masse. Le 22 mars, 500 000 travailleurs étaient dans les rues, menés par des chauffeurs de trains, des enseignants, des infirmières et des contrôleurs aériens. Au printemps, coïncidant avec les 50 ans de la grève générale de mai 1968, les étudiants occupaient divers campus, puis les cheminots sont entrés en grève.

Le mouvement des gilets jaunes est la suite logique de ces événements et s’inscrit aussi dans la continuité des mouvements anti-austérité que nous avons vus au cours des dernières années ailleurs en Europe. Avec l’élection de Macron en 2017, la bourgeoisie européenne avait cru trouver un sauveur, un politicien du « centre » qui serait capable de « réformer » la France en imposant l’austérité sans qu’il y ait de résistance trop forte. Au final, Macron s’est tout de suite mis à dos l’écrasante majorité de la population et est plus impopulaire que jamais. Quoi qu’il arrive maintenant, Macron et la bourgeoisie française ressortent grandement affaiblis de ce mouvement.

Lors de la discussion, plusieurs participants ont posé des questions sur la direction que le mouvement devrait prendre. Jusqu’à maintenant, les manifestants ont réussi à obtenir des concessions de Macron telles que l’annulation de la taxe sur le carburant qui avait déclenché le mouvement, et d’autres miettes comme l’augmentation du salaire minimum de 100 euros (qui n’est pas une véritable augmentation – voir ici). Mais le mouvement va maintenant beaucoup plus loin et les travailleurs et jeunes qui y participent commencent à remettre en question le système politique dans son ensemble. Ce fait apparaît de façon détournée dans la revendication du référendum d’initiative citoyenne (RIC), très populaire dans le mouvement. Certains participants à la discussion ont  soutenu que c’était par les RIC que la population pourrait prendre le contrôle sur la politique. Il est vrai que dans sa forme actuelle, la revendication, intimement liée au slogan « pouvoir au peuple », témoigne de la volonté des masses de prendre contrôle de leur vie et de participer à la vie politique. Toutefois, il est important de souligner les limites de cette revendication. Si les institutions actuelles demeurent en place et le système économique capitaliste aussi, les politiciens représentant les capitalistes n’admettront les RIC que dans la mesure où leurs intérêts ne sont pas menacés. Une participante originaire de Suisse a d’ailleurs expliqué que ce pays admet les RIC, sans que le système capitaliste ne soit fondamentalement menacé.

Il a également été mentionné dans la discussion que le mouvement est si large qu’on ne peut pas vraiment lui apposer une idéologie ou une « étiquette » quelconque, ce qui serait même une bonne chose. Le mouvement rejoint effectivement de nombreuses couches sociales et il est normal qu’on y trouve toutes sortes d’idées. Cependant, le mouvement ne peut continuer indéfiniment. Si aucune direction claire n’est donnée, il est possible que l’épuisement s’installe et que le mouvement s’éteigne. Il importe qu’il se dote de vrais organes démocratiques comme des assemblées générales dans les villes et les milieux de travail, ce qui permettra de débattre pour adopter des slogans et des revendications, des méthodes de lutte, et un plan d’action pour faire tomber Macron. Certains appellent à une grève générale, l’arme principale permettant à la classe ouvrière de bloquer la production. Les syndicats doivent entrer dans la lutte et organiser la grève générale, eux qui possèdent les ressources permettant d’organiser un tel mouvement et de mobiliser les travailleurs.

Dans sa conclusion, Julien a abordé notamment cette question de « l’idéologie » du mouvement. Il a souligné que tôt ou tard, le mouvement devra poser la question : qui dirige la société? Les capitalistes ou les travailleurs? Cette question « idéologique » n’est pas sans importance. Julien a expliqué que tant et aussi longtemps qu’on reste dans un système où les grands leviers de l’économie sont détenus par les capitalistes, les gains obtenus par les travailleurs demeurent limités et temporaires. Concernant l’augmentation du salaire minimum, par exemple, Macron a subtilement ajouté que cela se ferait « sans qu’il en coûte un euro de plus pour l’employeur ». Qui payera pour cette dépense alors, en plus des autres concessions données par Macron? Ce seront les travailleurs par le biais de coupes dans les services sociaux, par des taxes supplémentaires, etc. Si nous refusons de répondre à la question de qui dirige la société, nous acceptons que les capitalistes continuent indéfiniment de refiler les factures aux travailleurs. Par leur expérience, un nombre grandissant de travailleurs et de jeunes viendront à voir que sous le système capitaliste, il ne peut y avoir de solution durable à leurs problèmes. Le rôle des militants socialistes est d’aider dans ce processus. La conclusion est qu’il faut travailler dès maintenant à promouvoir une perspective socialiste dans le mouvement des gilets jaunes, ce qui nécessite la construction d’une organisation révolutionnaire pouvant défendre activement cette perspective dans le mouvement. L’événement s’est terminé sur un appel à rejoindre les rangs de La Riposte socialiste ici au Québec ou de notre section soeur en France, Révolution (marxiste.org).