Une autre mort sur les mains du capitalisme : une femme inuk meurt de froid dans les rues de Montréal

L’argent et les ressources nécessaires pour loger l’ensemble de la population existent. Il n’y a aucune raison qui justifie la mort de qui que ce soit dans nos rues. Alors pourquoi entendons nous encore des histoires atroces de personnes retrouvées sans vie?

  • Valérie Heckinger
  • mar. 23 nov. 2021
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Le 13 novembre dernier, le corps sans vie d’Elisapie Pootoogook, une femme inuk sans-abri, a été retrouvé sur un chantier de construction à proximité du Square Cabot, à Montréal, par un passant. 

À chaque année, nous entendons de nouvelles histoires d’horreur de personnes sans-abri mortes au froid dans la rue. L’année dernière, c’était Raphaël André, un homme innu, qui avait été retrouvé mort de froid dans une toilette chimique de Montréal à quelques mètres d’un refuge fermé en raison de la COVID-19. 

Ces tragédies révèlent de grandes contradictions dans notre société, une société capable d’envoyer des milliardaires dans l’espace simplement parce qu’ils en ont envie, mais où des gens meurent encore de froid parce qu’on les prive de logement.

Ces morts étaient entièrement évitables. En juin dernier, la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ) a publié une étude qui estimait que 5,6% des logements à Montréal étaient vacants. Le nombre de logements vacants au Canada s’élève à 1,3 million. Le dernier dénombrement des personnes en situation d’itinérance visible au Québec en 2018 estimait que 5789 personnes étaient en situation d’itinérance visible dans les 11 régions ciblées par le dénombrement. Cela signifie que nous avons les ressources nécessaires pour loger les personnes en situation d’itinérance, mais les propriétaires préfèrent laisser des gens mourir de froid dans les rues plutôt que de loger des gens qui n’ont pas les moyens de payer un loyer. 

Même avant la pandémie, la situation du logement au Québec était désastreuse. De 1980 à 2015, le loyer médian a augmenté de 208% alors que le salaire médian n’a augmenté que de 160%. De plus, dans un rapport publié en juin dernier, l’Institut national de la santé publique du Québec nous informe que, dans le Grand Montréal, 10% des logements locatifs étaient des logements sociaux ou communautaires alors que 29% des ménages locataires nécessitent de tels logements. Selon ce même rapport, les logements abordables sont particulièrement difficiles à trouver, leur taux d’inoccupation se trouvant à 1,6%, par rapport à 7,4% pour les logements destinés aux ménages plus fortunés.  

Les conséquences économiques de la pandémie et de la crise du logement se sont davantage fait ressentir chez les plus vulnérables. On estime que le nombre de personnes itinérantes à Montréal serait passé de 3000 en 2018 à 6000 en 2020. Malgré cette hausse, plusieurs hébergements ont dû réduire leurs nombres de places pour respecter les mesures d’hygiène liées à la pandémie. Ce n’est donc pas pour rien que les campements de fortunes se sont multipliés partout au Canada, dont sur la rue Notre-Dame dans Hochelaga-Maisonneuve. 

La situation est encore pire pour les Autochtones. Nombre d’entre eux sont forcés de quitter leur communauté en raison de la misère et du manque d’eau potable, de logements de qualité et d’infrastructures, pour tenter de s’installer dans les grandes villes. En ville, la discrimination combinée à la pénurie de logement les pousse souvent à l’itinérance. À Montréal, on estime que 10% des personnes en situation d’itinérance sont des personnes autochtones, alors que celles-ci ne représentent que 0,6% de la population montréalaise. On estime également qu’au Canada, une personne autochtone sur 15 est susceptible de vivre une situation d’itinérance comparativement à une personne sur 128 parmi la population générale. 

Pourtant les gouvernements ne font rien : en 2020, les gouvernements du Canada et du Québec annonçaient un investissement de 3,7 milliards sur 10 ans, c’est-à-dire 370 millions par année, pour le logement social et abordable au Québec. Ça peut paraître énorme comme investissement, mais ce n’est rien en comparaison aux cadeaux qui ont été faits aux entreprises canadiennes durant la pandémie. 

En effet, ce n’est pas comme s’il manquait d’argent : le montant d’argent versé aux entreprises canadiennes dans les huit premiers mois de la pandémie s’élevait à 240 milliards de dollars. Il s’agit de l’argent des contribuables, et il est difficile de trouver de l’information sur quelles compagnies ont reçu ces subventions et ce qu’elles en ont fait. Par exemple, en ce qui à trait à la subvention salariale d’urgence canadienne (SSUC), une enquête du Globe and Mail a révélé que des entreprises ayant bénéficié de la SSUC en ont plutôt profité pour payer des dividendes à leurs actionnaires et congédier des travailleurs

Si on fait le calcul, ce que le logement social et abordable du Québec a reçu en un an comme subventions équivaut à 0,15% de ce qu’ont reçu les entreprises canadiennes en huit mois. On voit où nos gouvernements placent leurs priorités. 

L’argent et les ressources nécessaires pour loger l’ensemble de la population existent, il n’y a aucune raison qui justifie la mort de qui que ce soit dans nos rues. Alors pourquoi entendons nous encore des histoires atroces de personnes retrouvées sans vie?

Parce que ces ressources sont concentrées dans les mains des élites capitalistes aux dépens du reste de la population qui doit se battre pour les miettes restantes. Marx le disait bien: « L’accumulation de richesses dans un pôle est à la fois une accumulation de misère, des tourments du travail, de l’esclavage, de l’ignorance, de la brutalité et de la dégradation mentale, dans le pôle opposé. » Ce propos de Marx date d’il y a plus d’un siècle et demi, il n’a pourtant jamais été aussi vrai. 

Alors que les richesses continuent de s’accumuler dans les comptes de banque des Elon Musk de ce monde, des femmes comme Elisapie Pootoogook rendent l’âme dans les rues d’un pays ayant des millions de maisons vides. Tant que nous vivrons sous un système qui priorise le profit plutôt que les besoins des gens, des tragédies comme celle d’Elisapie Pootoogook continueront de survenir.