Photo : Laurent Bélanger/Wikimedia Commons

Cineplex est la plus grande chaîne de cinémas du Canada et détient un quasi-monopole dans le pays. Le premier confinement de la pandémie de COVID-19 a forcé la fermeture de ses 164 salles, ce qui signifie que la plupart de ses 13 000 employés ont été mis à pied. Cineplex a ensuite reçu plus de 60 millions de dollars de la subvention salariale d’urgence du Canada (SSUC) au cours des trois premiers trimestres de 2021 seulement. La SSUC est censée prévenir les licenciements et mises à pied en couvrant 75% du salaire d’un travailleur, tandis que l’employeur en paie 25%. Mais après la réouverture en 2021, les millions de dollars n’ont pas empêché Cineplex de mettre à pied 6000 autres travailleurs lorsque la vague du variant Omicron a balayé toutes les provinces.

Cinéplex n’est pas le cinéma d’une petite ville avec un seul projecteur et des sièges grinçants. La société est massivement rentable depuis des années, réalisant plus de 1,09 milliard de dollars de bénéfices en 2019. La plupart de ses travailleurs sont des travailleurs à temps partiel, faiblement rémunérés, attitrés au service à la clientèle, puisque la plupart des opérations techniques du cinéma sont maintenant automatisées.

Donc, si la SSUC est supposée sauver des emplois, et que les emplois ne sont pas sauvés, où vont ces subventions? Nous ne pouvons qu’estimer le montant des subventions reçues par Cineplex à partir de ses propres documents destinés aux investisseurs puisque les détails sur les déboursements de la SSUC ont été vagues et secrets depuis sa création. Nous savons, par exemple, que 26 millions de dollars ont été utilisés par Cineplex pour assurer le service de sa dette en 2021. L’entreprise a déclaré que ces mises à pied sont « temporaires », mais dans un pays où la plupart des gens sont à 200 dollars ou moins de la faillite, des dommages irréparables ont déjà été causés aux travailleurs.

En ce qui concerne de la sauvegarde des emplois, un économiste estime que la SSUC coûte actuellement au gouvernement 14 500 dollars par mois pour chaque emploi sauvé, ce qui prouve qu’il ne s’agit pas simplement de sauver des emplois, mais de gonfler les bénéfices des entreprises.

Malgré tout cela, la SSUC est sur le point de dépasser les 106 milliards de dollars, alors que des programmes tels que la Prestation d’urgence du Canada (PCU), destinés à aider directement les travailleurs, ont été supprimés et réduits. La SSUC n’est qu’un des 107 programmes de subventions similaires qui représentent 240 milliards de dollars de dépenses. Un mystère plane également autour des 700 milliards de dollars qu’on estime qui auraient été distribués aux entreprises au début de la pandémie, ce qui montre que le principal objectif des libéraux n’est pas de sauver le gagne-pain des travailleurs, mais de mettre le capitalisme canadien sur le respirateur artificiel.

Pas un cas isolé

Les libéraux ont dépensé plus pour la SSUC que pour les allocations familiales, les transferts de soins de santé, les paiements de péréquation ou les prestations destinées aux particuliers pendant la pandémie, comme la PCU. Pourtant, le secret plane sur qui a réellement reçu ces milliards de dollars.

Plusieurs des plus gros noms du monde des affaires au Canada ont reçu la SSUC notamment Air Canada, Rogers, Bell, Telus, le CN, le Groupe SNC-Lavalin et Suncor Energy.

Le manque de rigueur et de transparence et les critères de qualification très larges ont peu incité les entreprises à sauver des emplois. En somme, payer un employé pour qu’il reste à la maison pendant que l’entreprise est fermée ne rapporte rien à quiconque.

Les exemples d’entreprises ayant abusé de la SSUC ne manquent pas. L’entreprise d’ameublement Leon a reçu 29,8 millions de dollars par l’entremise de la SSUC après avoir connu une baisse de ses revenus, licencié 70% de sa main-d’œuvre et fermé 72 magasins en mars, mais les revenus de l’entreprise ont augmenté par la suite augmenté de 88,8% en juin. Le 10 novembre, Leon a annoncé un dividende spécial de 0,30 dollar par action ordinaire pour ses actionnaires (0,14 dollar de plus qu’en 2019) pour un montant de 24 millions de dollars. Le 30 septembre, elle a commencé à racheter pour 74 millions de dollars de ses actions.

Un conglomérat de camionnage de Montréal, TFI International, a reçu près de 75 millions de dollars en SSUC tout en mettant à pied des travailleurs, pour ensuite verser des dividendes plus élevés chaque trimestre qu’en 2019 et faire 13 acquisitions. D’innombrables autres exemples existent, et pourtant le gouvernement libéral fédéral a fait en sorte qu’il soit incroyablement difficile de savoir qui a obtenu des subventions, et encore moins combien.

Quelles sont les options?

Les entreprises disent que les licenciements sont inévitables si les revenus diminuent et qu’aucune mesure n’est prise. C’est vrai! Mais une entreprise qui ne peut rester en vie sans l’aide de l’État ne devrait pas exister en tant qu’entreprise privée, surtout une entreprise aussi profitable que Cineplex.

L’expérience montre que les subventions salariales ne sont que du BS corporatif qui ne fait pratiquement rien pour protéger le gagne-pain des travailleurs, qui payent eux-mêmes la facture de ces milliards de subventions. Si une chaîne de cinémas ne peut rester ouverte sans aide financière, elle devrait être nationalisée et confiée à ceux qui la font fonctionner. Pas un centime de plus en subventions ou en exemptions fiscales ne devrait être accordé à des compagnies comme Cineplex. Si un travailleur n’est pas essentiel, il devrait être renvoyé chez lui avec un salaire complet pour la durée de la pandémie. S’il est essentiel, il devrait recevoir une prime de risque équivalente à 100% de son salaire.

Les travailleurs de Cineplex sont un maillon de la chaîne plus grande que constitue l’industrie cinématographique, qui vaut plusieurs milliards de dollars et où règnent le surmenage, la violence, les bas salaires et les conditions de travail dangereuses. Cette situation a donné lieu à des luttes syndicales inspirantes, comme la menace de grève de 2021 de l’Alliance internationale des employés de scène, de théâtre et de cinéma (AIEST), évitée de justesse, au cours de laquelle 60 000 travailleurs ont menacé de paralyser Hollywood du jour au lendemain.

Plusieurs cinémas Cineplex au Québec sont syndiqués depuis des années avec la section 262 de l’AIEST, et il n’y a aucune raison pour que cela ne s’étende pas au reste du pays. Cela donnerait aux travailleurs de Cineplex le pouvoir de lutter contre les licenciements et d’améliorer leurs conditions de travail. Ces cinémas devraient être reliés au mouvement syndical plus large de l’industrie cinématographique, ce qui rendrait ces travailleurs capables de briser l’emprise des milliardaires sur leur vie et d’obtenir leurs revendications.

Une industrie cinématographique nationalisée sous le contrôle et la gestion des travailleurs garantirait que chacun de ces emplois soit bien rémunéré et gratifiant, et que les produits puissent être vus et appréciés par tous sans la barrière du profit.