Photo : Justin Trudeau/Facebook

La « Conférence des Parties » (COP15) des Nations Unies sur la biodiversité se réunit du 7 au 19 décembre à Montréal, dans un Palais des Congrès lourdement barricadé. Protégés par la plus importante mobilisation policière dans la ville depuis des décennies, des centaines de représentants d’États et de lobbyistes se réuniront pour un énième cycle de pourparlers insignifiants et de promesses vides.

La lutte pour préserver la biodiversité et stopper le changement climatique est sans aucun doute l’une des plus importantes de notre vie. Des millions de personnes dans le monde entier ont été mobilisées par le mouvement de masse pour sauver la planète. Mais tout ce que la classe dirigeante a à nous offrir, ce sont ces réunions de réseautage glorifié où ministres, industriels et banquiers se côtoient et préparent des accords commerciaux en coulisse en vue « d’écoblanchir » le capitalisme. Après des années de « COP », d’ « accords » rompus et d’inaction, de moins en moins de gens se font des illusions sur la capacité de ces entreprises privées et de ces représentants de l’État à faire quoi que ce soit pour arrêter les catastrophes environnementales imminentes.

Carnaval d’hypocrisie

La COP15 est la 5e réunion des 196 pays qui ont signé la Convention sur la diversité biologique, adoptée en 1992 – avec l’exception notable du plus puissant d’entre eux, les États-Unis. Parmi les plus de 20 000 participants, on trouve non seulement des représentants étatiques, mais aussi une armée de milliers de lobbyistes issus des ONG et du monde des affaires.

L’objectif déclaré de la COP15 est d’aligner les nations, les entreprises et les « communautés » autour d’une vision et de convenir de la mise en œuvre de politiques visant à vivre « en harmonie avec la nature d’ici 2050 ». Cet objectif louable est cependant très éloigné des politiques réelles mises en œuvre par les différents pays impliqués, à commencer par les hôtes eux-mêmes.

En effet, bien que le Canada soit plus déterminé que jamais de verdir (en apparence seulement) son économie et que le militant environnemental devenu ministre libéral Steven Guilbeault ait affirmé qu’il n’y a « pas de temps à perdre » pour sauver la planète, les actes de l’État et des entreprises canadiennes en disent plus longs que leurs paroles creuses.

Dans une lettre ayant fait l’objet d’une fuite, l’ambassadrice du Canada auprès de l’Union européenne, Ailish Campbell, se plaint que la réglementation proposée par l’UE en matière de protection des forêts sera « lourde » pour le commerce canadien, et fait pression pour que les paramètres de « dégradation des forêts » soient adoucis ou supprimés. Cette défense du profit au détriment de la nature est logique si l’on considère que deux des plus grandes industries de ressources du Canada, l’exploitation forestière et du pétrole, ont fait du pays le leader mondial de la dégradation des forêts. En fait, le gouvernement préfère que personne ne soit au courant de la perte massive de biodiversité qu’il encourage; il ne mesure même pas la dégradation des forêts et n’en rend pas compte dans son rapport annuel sur l’état des forêts du Canada.

Pendant ce temps, en Colombie-Britannique, le gouvernement néo-démocrate continue de défendre l’engagement des compagnies forestières à décimer les précieuses forêts anciennes alors qu’elles cherchent des moyens de rester compétitives sur le marché mondial. Aucune répression des militants qui tentent de protéger la terre et l’eau n’est trop forte pour ce gouvernement qui défend les profits de ses copains de l’industrie.

En Ontario, Doug Ford est encore plus insolent : il passe au bulldozer la « ceinture verte » (« Greenbelt ») de la province pour que certains des plus grands donateurs de son parti, soit des sociétés de développement immobilier et de construction, puissent faire encore plus de profits. Qui s’occupera des millions de personnes qui dépendent de cet écosystème pour leur eau potable, ou des animaux dont l’habitat sera affecté?

Au Québec aussi, le gouvernement de la CAQ a montré dernièrement à quel point il se soucie de l’environnement en défendant avec acharnement le droit de la fonderie Horne à polluer 33 fois plus que la norme provinciale. Il a également défendu haut et fort la nécessité de construire un troisième lien entre Lévis et Québec, sans aucune étude à l’appui. L’ONG Équiterre a dû réaliser sa propre étude, qui a révélé que le projet entraînerait la perte d’habitats naturels, entre autres impacts environnementaux. Quelles que soient les promesses vides que la CAQ fera lors de la COP15, elles seront ternies par toutes leurs actions jusqu’à présent.

À l’échelle internationale, les sociétés minières canadiennes détruisent des écosystèmes, assassinent des militants écologistes et réduisent les travailleurs en esclavage et les tuent, tout en étendant leur exploitation des richesses du monde. Ce sont ces « entrepreneurs » que la Convention sur la biodiversité propose de faire participer à une « coopération » harmonieuse avec les communautés locales.

Ces exemples du Canada pourraient être reproduits à volonté pour toutes les nations participant à la COP15. Nous nous sommes habitués aux déclarations vides des divers représentants étatiques totalement contraires aux actions de leurs gouvernements. Les deux prochaines semaines seront une autre ronde de ce spectacle répugnant.

Aucune confiance dans les grandes entreprises privées

Un article récent du Financial Post a pour titre « À la COP15, les entreprises entendront qu’elles ne peuvent plus se permettre d’ignorer la crise de la biodiversité ». Mais combien de fois au cours des dernières décennies les entreprises ont-elles « entendu » qu’elles devaient faire quelque chose pour arrêter la destruction de l’environnement?

Elles l’ont déjà entendu, et aucune action significative n’a été prise. Une étude récente de la World Benchmarking Alliance révélait que sur les 400 entreprises qu’elle a évaluées, seules 5% ont examiné l’impact de leurs activités sur la nature et la biodiversité. Seules 14% d’entre elles font savoir si elles sont situées dans des zones de « haute valeur écologique », ce qui rend « difficile de tenir la majorité des entreprises responsables de leurs impacts dans ces zones hautement prioritaires ». Et même parmi les quelques-unes qui ont pris des engagements en matière de biodiversité et de climat, 98% font pression pour obtenir ce qui leur est le plus profitable, sans tenir compte de leurs engagements.

Cet état de fait est la marque de commerce du capitalisme. La propriété privée permet à ces entreprises de n’avoir de comptes à rendre à personne. Pendant ce temps, nous les supplions de voir la lumière et de prendre des mesures pour sauver l’environnement.

C’est l’approche adoptée par le « Collectif COP15 », une coalition large comprenant les principaux syndicats du Québec parmi plus de 60 organisations de la « société civile ». Cette coalition appelle, entre autres, à interdire les investissements dans des projets menaçant la biodiversité, à lutter contre l’écoblanchiment, à réguler le secteur privé et à mettre en place des « mécanismes » de « dialogue social » afin d’assurer une transition « juste et équitable ».

Même en laissant de côté le caractère vague de ce qui est proposé, force est de constater que rien de tout cela ne peut être réalisé si les décisions sont laissées entre les mains de quelques PDG et des politiciens qui les servent.

En effet, au bout du compte, on ne contrôle pas ce que l’on ne possède pas. La propriété privée des principaux leviers de l’économie signifie que les entreprises ont le pouvoir de contourner la réglementation avec peu ou pas de conséquences, et que les industries polluantes tiennent les gouvernements en otage en les menaçant de fermetures et de pertes d’emplois si les gouvernements ne coopèrent pas avec elles. Une économie gérée par des milliers de capitalistes qui tentent de se surpasser les uns les autres en extrayant des profits des travailleurs et de la planète signifie également que le type de coordination, de coopération et de planification à long terme nécessaire pour transformer les industries afin qu’elles soient « en harmonie avec la nature » est impossible. La propriété privée est un obstacle absolu à une lutte efficace contre la crise climatique.

Gratter pour du petit change

Cette réunion de la COP15 est entourée d’une grande fanfare, à tout le moins dans le monde des affaires où on voit quelque chose à gagner à y participer. Les déclarations pompeuses sur le sauvetage de la planète abondent. Dans ce contexte, on pourrait s’attendre à ce que les délégués passent de la parole aux actes et soulèvent des montagnes pour suivre leurs déclarations grandioses. Mais en fin de compte, l’objectif le plus concret est de trouver  700 milliards de dollars pour « inverser la crise mondiale de la biodiversité ». Et même cela, disent-ils, sera difficile à atteindre.

Toute cette fanfare pour 700 milliards de dollars! On pourrait en rire si la crise de la biodiversité n’était pas aussi grave. Ce montant ne représente même pas la moitié des 1500 milliards de dollars en « argent mort » qui se trouvent sur les comptes bancaires des riches hommes d’affaires canadiens. Rien que cette année, les profits du « Fortune 500 » aux États-Unis, dont certaines parmi ces compagnies sont à la COP, se sont élevés à 1800 milliards de dollars. Et pourtant, « il n’est pas certain que les montants promis pour protéger et restaurer la biodiversité soient suffisants ». Peut-être ces entreprises sont-elles plus intéressées par les nouvelles occasions d’affaires qu’elles peuvent décrocher à la COP que par la sauvegarde de la biodiversité…?

Même les Nations unies soulignent que ce montant représente de la petite monnaie. Lors de la rédaction des objectifs, Achim Steiner, directeur du programme de développement des Nations unies, a souligné que 700 milliards de dollars par an représentaient « moins de 1% du PIB mondial et seulement une fraction des 5200 milliards de dollars que nous dépensons chaque année en subventions pour les combustibles fossiles ». Et il s’agissait là des chiffres de 2019; nous sommes en voie de dépasser les 9000 milliards de dollars de subventions aux combustibles fossiles par année d’ici 2025. Des miettes vont à l’environnement, tandis que les industries polluantes sont arrosées d’argent directement issu des fonds publics.

Les gouvernements subventionnent aussi largement les industries destructrices d’extraction de ressources, à hauteur de centaines de milliards de dollars par an – quatre fois plus qu’ils ne soutiennent la protection de la biodiversité. Ces industries, aux mains d’une minuscule classe de capitalistes, sucent le sang de la Terre autant que celui des travailleurs qu’elles exploitent. Ces bulldozers de la biodiversité font ce qui leur plait, profitant de la destruction de la terre, sans aucun contrôle de la part des personnes qu’ils affectent. La réglementation limitée est formulée de manière peu rigoureuse et appliquée de manière approximative, pour des raisons évidentes si l’on considère les portes tournantes entre les régulateurs et les régulés.

Sous le capitalisme, la logique impitoyable du marché et de la concurrence conduit les États à tout faire pour protéger leurs propres capitalistes à l’aide de subventions et autres mesures similaires. Les États-nations sont poussés à assouplir les restrictions environnementales dans une course vers le bas pour attirer les investissements en réduisant les coûts et les obstacles bureaucratiques pour les entreprises.

En réalité, l’argent, les ressources, les connaissances et la technologie existent pour planifier l’économie afin que l’humanité vive en harmonie avec la nature. Mais cela ne peut se faire tant que des entreprises privées et leurs intérêts étroits mènent la charge, et que l’argent public va dans les poches des grandes entreprises sans tenir compte des considérations environnementales.

Les marxistes disent souvent que les deux principaux obstacles au progrès aujourd’hui sont la propriété privée et l’État-nation. Cela n’est peut-être nulle part plus clair que sur la question de l’environnement.

Crise écologique, révolution socialiste!

Les crises du climat et de la biodiversité affectent des millions de personnes, et cette fois encore, les mobilisations se multiplient pour protester contre le carnaval des hypocrites.

La « Coalition anticapitaliste et écologique contre la COP15 » a été formée pour l’occasion et organise une série de manifestations. Le groupe est également à l’origine de grèves étudiantes qui auront lieu cette semaine. Jusqu’à 20 000 étudiants seront en grève pendant un ou plusieurs jours pour protester contre la conférence.

Si la coalition anticapitaliste dénonce à juste titre le capitalisme et l’État-nation et appelle à la grève des travailleurs et des étudiants, elle met l’accent sur le vague appel à « bloquer » la COP15, mais sans proposer de solution de rechange. La plupart des travailleurs qui connaissent vaguement la COP15 seraient perplexes à l’idée de « bloquer » une réunion nominalement destinée à protéger la biodiversité sans mettre de l’avant un programme ou des solutions.

Après des années de mobilisations de masse pour lutter contre les changements climatiques et ses conséquences désastreuses, nombreux sont ceux qui peuvent ressentir l’urgence de la situation, mais aussi une impasse du mouvement. Un sentiment de pessimisme affecte certaines parties de la jeunesse, qui a vu des années de mobilisation sans que les élites ne lèvent le petit doigt.

À la base, cette impasse s’explique par l’absence d’une perspective socialiste claire. De plus en plus, les gens comprennent que le capitalisme et les changements climatiques sont complètement imbriqués. Symptomatique de ce phénomène, Greta Thunberg a récemment dénoncé ouvertement le capitalisme. Mais cette dénonciation du capitalisme est rarement accompagnée d’une proposition concrète. Se refuser à défendre une solution de rechange socialiste, c’est poursuivre sur le chemin de l’impasse. 

Afin de sauver la planète, une réorganisation massive de la façon dont nous produisons et récoltons les ressources est nécessaire. Pour y parvenir, le contrôle démocratique et la planification de l’économie par la classe ouvrière sont nécessaires. La classe ouvrière doit arracher le pouvoir des mains de la minorité de lobbyistes, de PDG et de leurs amis au sein des gouvernements qui possèdent les industries, la terre et l’eau. Nous devons nationaliser les grands secteurs de l’économie et développer un plan de production socialiste et démocratique en harmonie avec la nature et dans l’intérêt de tous les travailleurs. La lutte pour sauver la planète est une lutte de classe. Il est grand temps de dire les choses telles qu’elles sont : nous avons besoin d’une révolution socialiste!