Photo : Donna Burton, Wikimedia Commons

Ces dernières semaines, le monde a été choqué par les images d’agents des douanes américaines à cheval fouettant des migrants haïtiens en fuite. La cruauté de la scène et la couleur de peau respective des victimes et de leurs agresseurs ont évoqué l’imagerie du colonialisme et de l’esclavage. Cet incident n’est pas une simple anecdote. Ces derniers mois, on a assisté à une vague d’immigration vers les États-Unis en provenance d’Haïti. La violence politique et des gangs est un problème de longue date dans ce pays, mais ces deux phénomènes ont été exacerbés par le récent assassinat du président Jovenel Moïse. La réponse du gouvernement américain à cette vague de migration a été rapide et violente. En seulement neuf jours, le régime de Biden a expulsé près de 4000 migrants et les a renvoyés dans leur pays d’origine, où les attendent des conditions de pauvreté et de criminalité.

L’extrême droite rejette avec mépris les difficultés d’Haïti, affirmant que les États-Unis n’ont aucune obligation d’aider les étrangers à résoudre « leurs » problèmes (en particulier les étrangers non blancs). Pour eux, « les États-Unis sont pleins ». En réalité, les problèmes d’Haïti ne sont pas déconnectés des États-Unis. La souffrance des Haïtiens n’est pas le produit d’un simple accident géographique, pas plus que le résultat inévitable de l’autonomie gouvernementale des Noirs, comme le prétendent les réactionnaires. La réalité est que Haïti fait depuis longtemps partie des Nations les plus exploitées sur la planète. Pour cette raison, le pays demeure gravement sous-développé, avec un PIB par habitant de moins de 100 dollars américains par mois.

Haïti est né de la première révolte d’esclaves réussie dans les Amériques, en 1791. Mais les anciens esclavagistes français ont puni les Haïtiens pour cet exploit héroïque en leur imposant le paiement d’une dette astronomique. Par conséquent, après s’être libérés eux-mêmes de l’esclavage, l’immense richesse créée par les masses haïtiennes a continué d’enrichir la France impérialiste plutôt qu’Haïti. En 1915, les États-Unis ont envahi le pays sans la moindre justification. L’occupation a duré presque deux décennies, pendant laquelle le gouvernement américain a concentré la richesse et le pouvoir entre les mains d’une minorité d’élites haïtiennes à la solde des américains.

Des décennies plus tard, le pays reste sous la botte de l’impérialisme. Le colonialisme direct a été remplacé par la domination du capital financier monopoliste et des relations commerciales inéquitables – avec des interventions et occupations impérialistes récurrentes. Des usines de vêtements sont apparues à côté des plantations de sucre, mais le système d’exploitation capitaliste demeure. L’économie d’Haïti est dominée par les grandes entreprises américaines, qui s’approprient les énormes profits créés par la classe ouvrière haïtienne. Environ 80% des exportations de l’île sont destinées aux États-Unis, et la plupart des importations proviennent des États-Unis. Tout cela constitue la base matérielle de la violence désespérée et de l’instabilité politique qui poussent l’immigration haïtienne vers les États-Unis.

Lorsque le président Biden a été élu, de nombreux travailleurs américains ont espéré que sa présidence serait un bienfait pour les immigrants, même si nombre de ses partisans plus passifs ont admis que ce bienfait serait mineur. La crise actuelle a démontré que la situation ne s’est pas améliorée d’un millimètre. Les arrestations d’immigrants illégaux à l’intérieur des États-Unis ont fortement diminué, mais la détention de migrants à la frontière a connu une augmentation significative. En fait, le nombre total d’immigrants détenus par ICE (Immigration and Customs Enforcement, l’organisme fédéral qui fait la chasse aux immigrants illégaux, NDT) a augmenté de 62% entre l’inauguration de Biden en janvier et la mi-septembre.

Bien qu’il ait promis de « fermer les camps », Biden n’a rien fait de tel, et les a plutôt renommés « centres de transit » (« overflow facilities ») tout en maintenant des conditions de vie inhumaines pour leurs occupants. Plutôt que de s’engager dans la pratique barbare de la séparation des familles, Biden choisit « humainement » de détenir la mère et l’enfant dans les mêmes cages humiliantes. L’administration a même renouvelé le contrat d’un centre de détention de migrants dans la tristement célèbre baie de Guantanamo. Au moment où nous écrivons ces lignes, le centre recherche des traducteurs parlant couramment l’espagnol et le créole haïtien.

Il est donc évident que la différence entre Trump et Biden est rhétorique et non concrète. L’attitude de Trump à l’égard des immigrants est ouvertement belliqueuse, tandis que celle de Biden est celle du libéral « respectable ». Cependant, les deux présidents sont les agents fidèles de la bourgeoisie américaine de plus en plus désespérée et bornée. Les efforts de Biden pour éviter le regard inquisiteur des défenseurs des droits de la personne risquent d’aggraver la situation des immigrants, car son administration tente de se débarrasser des demandeurs d’asile aussi vite que possible en accélérant de manière irresponsable le traitement de leurs dossiers. La procédure « nouvelle et améliorée » du Parti démocrate utilise une règle datant de l’ère Obama pour pousser les migrants demandeurs d’asile en tête de file, en devançant les immigrants qui attendent depuis des années, ce qui place les nouveaux demandeurs d’asile devant un juge avant qu’ils n’aient eu le temps de se préparer. Souvent, ils n’ont même pas le temps d’engager un avocat. Si des dizaines de millions d’électeurs de Biden n’approuvent peut-être pas ces violations des droits de la personne, ses bailleurs de fonds capitalistes, eux, les approuvent certainement.

En vérité, les frontières représentent un garrot autour du cou de la classe ouvrière internationale. Leur véritable fonction n’est pas la sécurité des populations en général, mais la sécurité des profits des capitalistes. Le parallèle entre les patrouilleurs frontaliers blancs montés à cheval et les chasseurs d’esclaves du 19ème siècle n’est pas seulement esthétique. La division entre les travailleurs blancs et noirs a la même fonction que la division entre les travailleurs avec et sans papiers. En imposant brutalement des distinctions fictives à la classe ouvrière, les capitalistes peuvent extraire des superprofits des travailleurs les plus opprimés tout en forçant les travailleurs plus « privilégiés » à accepter de mauvaises conditions en les menaçant de les remplacer par une main-d’œuvre moins chère.

Le capital, en revanche, n’est jamais entravé par les frontières. À l’ère de l’impérialisme moderne, un capitaliste peut importer des spécialistes, des travailleurs et des ressources à bas prix de n’importe quel coin de la planète. Dans le même temps, les syndicats, les salaires et même les impôts sur les sociétés restent aussi localisés que possible. Les chaînes d’approvisionnement mondiales se contorsionnent dans des structures de plus en plus complexes et inefficaces pour produire des biens à des salaires de misère tout en les vendant aux prix américains. Si un syndicat américain exige des salaires plus élevés, l’entreprise peut licencier les travailleurs et délocaliser ses activités dans des endroits comme Haïti, où les travailleurs peuvent être contraints par la violence et la famine à accepter un niveau de vie inférieur.

Alors que la crise du capitalisme s’aggrave, la bourgeoisie américaine protège plus jalousement que jamais ses frontières. L’État capitaliste fera tout ce qui est en son pouvoir pour s’assurer que les travailleurs étrangers sont enfermés dans des pays où ils peuvent être facilement exploités, et que les immigrants qui passent à travers les mailles du filet sont trop terrorisés pour s’organiser. En tant que travailleurs, nos intérêts sont totalement opposés à cela. Nous devons adopter une perspective internationaliste, en comprenant que l’on souffre tous de la surexploitation d’une masse de travailleurs. Plutôt que le nationalisme mesquin de la direction syndicale actuelle, nous avons besoin des idées révolutionnaires du marxisme pour faire avancer le mouvement. Nous avons besoin d’un parti ouvrier indépendant qui lutte contre la terreur impérialiste des démocrates et des républicains et pour la légalisation immédiate et inconditionnelle de tous les immigrants.